Christie’s Hong Kong : 24 et 25 mai 2021 : les « Gants Blancs », « Mona Lisa » et l’honneur retrouvé de Bui Xuan Phai

3 juin 2021 Non Par Jean-François Hubert

C’est une nouvelle vente « en gants blancs » qui s’est tenue chez Christie’s à Hong Kong les 24 (vente du soir) et 25 (vente du jour) mai derniers. Nos amis anglo-saxons usent des termes « gants blancs » pour qualifier une vente où tout a été vendu.

Bui Xuan Phai (1920-1988) « Rues d’Hanoi ». 1968.
Bui Xuan Phai (1920-1988) « Rues d’Hanoi ». 1968.

Les 31 lots offerts à la sagacité des collectionneurs furent accueillis dans une ambiance euphorique. L’ensemble totalisant 53.075.000 HKD (environ 6,8 M de USD et environ 5,7 M d’€) soit une moyenne de 1,71 M de HKD par œuvre (respectivement 220 000 USD et 180 000 €).

Nommément 11 artistes étaient représentés, le plus souvent par plusieurs œuvres : Nguyen Phan Chanh (1 œuvre), Le Pho (10), Mai Thu (8), Vu Cao Dam (4), Hoang Tich Chu et Nguyen Tien Chung (1), Alix Aymé (3), Joseph Inguimberty (1), Bui Xuan Phai (1), Dang Xuan Hoa (1), Nguyen Trung (1).

L’ensemble offrait quelques facettes de la production picturale vietnamienne même s’il faut s’entendre sur la nomenclature utilisée : la ‘vietnamité’ retenue habituellement se réfère à la nationalité d’origine du peintre ou au lieu de création de l’œuvre ou encore par une extension identitaire rendue nécessaire par l’analyse de l’œuvre du peintre. Ainsi par exemple deux laques d’Alix Aymé, artiste française, exécutées en France sont incluses dans la section vietnamienne car elles permettent de mieux comprendre l’évolution d’une artiste qui, lors de son séjour au Vietnam eut un rôle important dans la diffusion de la technique de la peinture à la laque. La ‘vietnamité’ picturale devrait nécessiter un long développement, que nous aborderons plus tard.

Notons simplement – par exemple – que Vu Cao Dam est arrivé en France en 1931, qu’il y est mort français en 2000, sans jamais retourner au Vietnam. Ainsi évoquer une « rapatriation » comme on lit souvent dans la presse vietnamienne apparaît saugrenu.

Quatre matériaux ont été utilisés par les 10 artistes : la « gouache et encre sur soie » (15 œuvres), « l’huile sur toile » (12), la « laque » (3) et le « pastel » (1).

Les dates d’exécution des œuvres s’échelonnaient de 1930 (soie d’Alix Aymé) à 2005 (toile de Dang Xuan Hoa).

Les excellents prix obtenus ont témoigné du très solide attrait qu’exerce la peinture vietnamienne sur des collectionneurs de plus en plus nombreux dans un marché particulièrement sain. 

Confirmant son statut de leader mondial pour l’art vietnamien, Christie’s a rajouté deux nouveaux records du monde (Bui Xuan Phai et Dang Xuan Hoa) à son palmarès déjà impressionnant (Le Pho, Nguyen Phan Chanh, To Ngoc Van, Luong Xuan Nhi, et tant d’autres).

On pourrait commenter chacune des œuvres.

Le Pho et sa « Jeune fille attachant son foulard » (lot 37), une exquise gouache et encre sur soie de 1938 a atteint 1.112.534 dollars américains confirmant l’aisance définitive du peintre à dépasser le million de dollars. La très belle « Femme au panier » : (lot 109, 483.000 USD)

Une petite déception néanmoins pour le Nguyen Phan Chanh « Les Teinturières » (lot 36) de 1931, une somptueuse gouache et encre sur soie – et pour moi la plus belle oeuvre de la vente – qui méritait bien plus que les 572.536 dollars américains obtenus. Il semble bien que – pour un temps – les nouveaux collectionneurs préfèrent admirer sur leurs murs les tons vifs et chauds des grands formats « Findlay » (après 1963) de Le Pho comme ces Jeunes femmes bucoliques et ces bouquets dans des vases (lots 107, 120 et 121 par exemple).

La « Mona Lisa » de Mai Thu (Lot 39) si subtil témoignage de la double acculturation France-Vietnam et de son effet-miroir, au cœur de la problématique picturale vietnamienne, a été très disputée pour atteindre 725.000 USD.

Un grand engouement général pour Mai Thu comme le confirme le bel accueil de son « L’Aube Nouvelle » (515.500 USD, lot 112).

Un grand (1,63 m de large) et puissant Inguimberty (lot 119) a séduit (225.500 USD) tandis qu’Alix Aymé voit de plus en plus son talent reconnu, même pour des laques tardives exécutées en France (lots 116 et 117, 88.600 USD) avec des sujets occidentaux.

Dang Xuan Hoa (lot 126) et Bui Xuan Phai (lot 125) ont obtenu leur record du monde.

Ce grand Bui Xuan Phai (66 X 78,5 cm) me procure une particulière émotion. Son vendeur, le journaliste basé à Hong Kong, Frederik Balfour – je livre son identité car Frederik lui-même avait décidé de communiquer sur son tableau sur le net – l’avait acquis chez Sotheby’s le 8 avril 2008 (nos amis asiatiques identifieront le « 8 » chanceux…).

Le tableau appartenait alors à Phillip Ng de Singapour, dont la magnifique collection eut droit – grande première – à un catalogue particulier. Les 235.500 HKD payés en 2008 sont devenus 1.652.500 HKD (210 277 USD) le 25 mai 2021, soit plus de 7 fois la somme d’origine. L’accueil, dans la salle, sur Christie’s Online, au téléphone, avec des enchérisseurs de Hong Kong, de Singapour, du Texas, d’Indonésie et du Vietnam, fut phénoménal.

Un monde de vrais collectionneurs disposés à acquérir une œuvre majeure de l’artiste qui obtient là, enfin, un prix digne de lui, bien annoncé par la petite (13 X 19 cm) huile sur panneau de 1983 de la Collection Jean-Marc Lefèvre (« La porte Quang Chuong à Hanoi ») adjugée (lot 215) 325 000 HKD chez Christie’s le 3 décembre 2020 qui avait amorcé l’œuvre de reconquête. 

Un honneur restauré.

Après tant d’années à lutter contre l’industrie du faux, méthodique, influente, institutionnelle et… familiale, cette sombre rue d’Hanoi m’a ramené à Paul Eluard :

« Et vain, je m’étonne d’avoir eu à subir
Mon désir comme un peu de soleil dans l’eau froide
 ».

Jean-François Hubert