Mai Thu, 1940, « Le vent printanier » ou le souffle exigeant de la liberté.

12 novembre 2020 Non Par Jean-François Hubert

En 1940, lorsqu’il peint cette gouache et encre sur soie, rare et subtile, Mai Thu est en France depuis trois ans. Il est probablement à Mâcon – où il est démobilisé, après la défaite contre l’Allemagne. L’oeuvre porte toutes les caractéristiques de ses œuvres tôt : fond ombré, quasi unicolore, personnages occupant massivement l’oeuvre, la tonalité sobre du pigment utilisé.

Mai Thu - Le vent printanier
Mai Thu – Le vent printanier

Mais « Le Vent du Printemps « frappe par  le dynamisme  de l’ensemble, se différenciant des oeuvres souvent hiératiques de l’artiste : le vent balaye l’œuvre de droite à gauche, pliant les bambous en haut à droite et les roseaux en bas, s’engouffrant dans les ao dai de la femme et de la jeune fille, ébouriffant leurs cheveux. Celles-ci ne semblent pas prêter attention à ce vent printanier et se soucient peu de la mare toute proche. L’artiste a choisi de ne pas figurer leurs membres inférieurs car l’élément central et essentiel du tableau est cette main ferme de l’adulte qui serre fort celle de la jeune fille en lui adressant un regard, tout d’autorité bienveillante. Dans sa main droite, la femme porte un panier d’osier rempli de Lucumas, ce fruit tellement apprécié dans les desserts à Hanoi, où à l’époque de Mai Thu on le récoltait, d’août à octobre, pour confectionner glaces et gateaux. Ces fruits apportent, avec la coiffure de la dame, une note modeste mais franche de couleur dans un tableau qui se veut d’une connotation atone. Allusion subtile de l’artiste ? Le Lucuma, originellement fruit d’Amérique du Sud, importé lors de la colonisation française s’affiche pictorialement avec la coiffe tonkinoise symbolisant à eux deux les deux influences majeures sur la peinture vietnamienne. Mais Mai Thu en amplifie le sens : quand le vent de l’histoire passe, il faut s’en faire fièrement et fermement un compagnon : ne pas le subir mais se laisser pousser en imposant le sens de sa marche : le souffle exigeant de la liberté…

La jeune fille, interrogative mais confiante et attentive c’est Mai Thu, cette femme belle, mature élégante et solide c’est le Vietnam, et le vent frais c’est la France son pays d’accueil.

Certes, le vent ne sera pas toujours « printanier » comme le montreront les rudes années suivantes de l’occupation allemande mais il aèrera toute sa vie durant l’oeuvre de Mai Thu. 

Jean-François Hubert