Pham Hau, ou le triomphe élégant de la ferveur et de l’humilité
Acquis au Vietnam par Maurice Colin (1906-1994) pendant la période coloniale, ce groupe d’œuvres, rapporté en France dans les années 50 fut conservé dans la famille jusqu’à ce jour.
Historiquement, artistiquement, techniquement, il illustre la contribution essentielle de Pham Hau à l’art vietnamien de la laque.
Historiquement, il témoigne du parcours d’un peintre singulier
Pham Hau (1903-1994) a vécu une existence singulière qui marque son projet artistique. Il naît en 1903 à Dong Ngac, un beau village, tout près de Hanoï. Orphelin de père et de mère très jeune, il intègre après sa scolarité secondaire, en 1920, l’École professionnelle de Hai Phong (fondée en 1913) où il se familiarise avec différents procédés (fonderie, tournage, fraisage et autres) qui lui apporteront une rigueur technique dont il ne se départira jamais. Il travaille ensuite à la gare ferroviaire de Hanoï comme commis d’accueil puis conducteur de train…
Pendant ce temps, le Hanoï artistique est en ébullition : l’École des Beaux-Arts de l’Indochine est créée le 27 octobre 1924, le premier concours d’admission organisé en 1925 dans toute l’Indochine. Conseillé et entraîné par Nam Son, Pham Hau y sera accepté en 1929 dans la 5ème promotion avec, notamment Tran Binh Loc et Nguyen Do Cung. Sa volonté farouche et son don certain – ce qui définit une vocation…- vont se trouver stimulés par l’essaim de talents qu’il va y côtoyer : ceux qui ont intégré l’École depuis quatre ans, de Le Pho à Vu Cao Dam en passant par Nguyen Phan Chanh et To Ngoc Van parmi d’autres… et des extraordinaires professeurs (Tardieu lui-même, Inguimberty, Goloubew…).
En outre, en cette année 1929, Victor Tardieu a vu acceptée la participation de « son » école à l’Exposition Coloniale projetée à Paris pour 1931 et, tout juste admis (en octobre), Pham Hau s’y voit immédiatement confier pour ladite exposition l’étude de « grilles et (de) consoles en fer forgé » (avec Vu Tien Chuc, Luu Dinh Khai, Tran Binh Loc et Tran Quang Tran) réalisées plus tard par l’artisan Nguyen Van Nhung.
Diplômé en 1934, il retourne dans son village natal où il ouvre un atelier, embauche des aides. Le succès est immédiat. Les récompenses obtenues à la SADEAI en 1935 (Médaille d’or) et 1936 (première mention) l’installent définitivement. Les commandes affluent, les collectionneurs sont conquis. Pham Hau vend et rayonne. Il expose avec Nguyen Gia Tri à Hanoï, en 1944, est décoré par l’Empereur Bao Dai. Après un court intermède à Phu To, en 1947, il s’installe à Hanoï. En 1949, avec Tran Van Du et Tran Quang Trang il fonde l’École Nationale d’Artisanat.
Partager la connaissance, son credo.
Artistiquement, il certifie un rare talent pictural
Toute sa vie – vouée à honorer son Tonkin natal – l’artiste a représenté essentiellement des paysages, des pagodes, des animaux (cerfs, oiseaux, chevaux, poissons…). Moins des personnages, qui s’insèrent habituellement dans ces mêmes paysages comme dans « Les enfants bouviers » ou dans notre boîte, « Scène villageoise ».
C’est dire la rareté de « Les cinq jeunes filles » (dim: 120 x 146,8 cm) probablement la plus belle laque (unique, sous réserve d’inventaire) réalisée par l’artiste, en tout cas la plus signifiante mais aussi une des pierres angulaires de l’art vietnamien. Ces jeunes filles affichent une force et une détermination que l’artiste nous transmet par un foisonnement d’or, une coquille d’œuf omniprésente, comme une fusion des mœurs et coutumes en cette année 1937. Les visages expressifs, les ao dai magnifiés, les postures assumées, saturent une atmosphère de liberté conquérante.
« La Pagode Thay » (46 X 62,7 cm) que l’artiste se plaira à peindre plusieurs fois dans son œuvre, est vue ici sous un angle inhabituel, d’en haut plutôt que frontalement. Pham Hau nous la propose enchâssée dans la végétation, encadrée par les « pains de sucre ». Il lui conserve son havre de sagesse que vient honorer notamment un ocre suave.
Le « Paysage de Hoa Binh » (100 X 200,7 cm) où des bateliers vigilants, l’eau et les montagnes se questionnent à distance – est magnifiquement servi par une composition puissante et un agrégat subtil de couleurs.
« Le village au bord de l’eau » (76,5X120,5cm) saturé de rouge cinabre et d’or, asymétrique dans sa composition, traduit magnifiquement l’austérité fière du Tonkin.
« Scène villageoise » (8X23X46cm) une exquise grande boite, montre aussi qu’au-delà des paysages immortels vivent des personnages modestes attachés aux exigences matérielles.
Pas d’emphase chez Pham Hau mais une célébration humble de la beauté stupéfiante du réel.
Le peintre s’est plu, probablement poussé par l’abondance des commandes reçues, à refaire ses œuvres. En en confiant une grosse part de l’exécution à ses assistants… D’où, une certaine disparité de qualité, parfois, et une certaine difficulté à les dater.
Celles présentées ici témoignent toutes d’une excellente exécution. On doit y voir le respect entre ces collectionneurs français, acquéreurs fidèles et leur artiste favori vietnamien… Un respect mutuel gage d’un échange bénéfique.
Techniquement, il atteste de la qualité du travail d’un grand maître
Ce paravent, ces 3 panneaux, cette boîte, concrétisent les hautes exigences d’un artiste à son sommet : un dessin ambitieux, un art de la composition, servis par le choix délicat des couleurs : rouge vermillon, auburn, or, ambre et ocre. Pham Hau fut, comme Nguyen Gia Tri, non seulement un grand acteur mais aussi un grand théoricien de la laque. Il laisse aussi des écrits forts, toujours à vocation éducative prônant le respect de normes techniques essentielles à l’expression du talent. Tout est important. Non seulement, le choix des pigments ou de la coquille d’œuf mais tout autant celui de l’espèce du bois, de l’épaisseur des panneaux, du mélange de sciure de bois, de poudre d’argile et de laque brute qu’il appose sur le bois poli ensuite. Il faudrait des lignes et des lignes pour évoquer tout le travail de collecte, de traitement et de préparation que postule la laque.
Un travail humble, invisible au profane. Un travail d’artisan au service de l’artiste. Ce sont ces qualités qui expliquent pourquoi les tranches et les dos de toutes les œuvres, l’intérieur de la boîte et de son couvercle sont admirablement recouverts de pigments soignés et coûteux.
Simplement et toujours, de l’humilité et de la ferveur.
Jean-François Hubert