Le 2 décembre 2021, chez Christie’s Hong Kong, le « Soleil d’Austerlitz » a illuminé la peinture vietnamienne.
Une fois de plus l’honneur des « gants blancs » pour la section vietnamienne chez Christie’s à Hong Kong ce 2 décembre.
Les initiés savent déjà que la réunion des deux termes, à l’initiative ancienne de nos amis britanniques, salue une vente où tout s’est vendu.
Déjà, la veille, lors de la grande vente du soir, un somptueux Le Pho, « L’enfant à la toilette » de 1938-40 s’était très bien vendu à 7,45 millions de dollars Hong Kong (HKD) soit 843 000 euros ou 955 000 dollars américains.
Les 21 lots suivants de la « vente du jour » consacrèrent le succès : au total les 22 lots de la section vietnamienne (7 Le Pho, 5 Vu Cao Dam, 1 Nguyen Phan Chanh, 1 Luong Xuan Nhi, 1 Hoang Tich Chu, 1 Nguyen Tien Chung, 1 Nguyen Gia Tri, 4 Mai Thu et 1 Tran Binh Loc) offerts à la sagacité de nos collectionneurs internationaux ont totalisé 47,5 millions de HKD (5,4 M€ / 6,1 M$) faisant, à nouveau, de Christie’s le champion mondial en la matière.
Les 5 œuvres de Vu Cao Dam, exécutées entre 1955 et 1969 se sont remarquablement vendues, bien au-delà de leurs estimations hautes (lots 301/302/303/304/321). Le plus intéressant était la « Maternité » (lot 302), peinte à Vence en 1955: le peintre y déconstruit ses modèles classiques de la mère et de l’enfant, choisit un panneau de bois et s’adonne à une quête quasi-alchimique du nouveau pigment. Cette dé-modélisation puissante a conquis un collectionneur averti à 375 000 HKD (42 600 € / 48 000 USD) à 2,5 fois son estimation basse.
Le Pho et sa période Findlay avec ses grands formats sur toile aux couleurs chaudes continuent de ravir les amateurs : les 6 œuvres offertes ont pulvérisé leurs estimations (lots 305/306/307/308/319/329 ). Le lot 307 (« Dans le jardin fleuri ») d’une très grande largeur (195,5 cm), une huile sur toile vers 1975, a établi un nouveau record du monde pour la période Findlay à 6,5 millions de HKD (738 000 €/ 833 000 USD).
Un Nguyen Phan Chanh, « La Pâtisserie » de 1930-31, très bel exemple de l’ascétisme social du maître et de son ode perpétuel à la simplicité a été vendu 4 750 000 HKD ( 540 000 € / 609 000 USD), la 3ème adjudication la plus élevée pour l’artiste.
Le Luong Xuan Nhi (lot 310), extrêmement subtil, d’une année (1939) où le peintre, épanoui, savoure encore son succès à l’Exposition Universelle de Paris (1937) exprime – entre autres… – toutes les thèses du « Tu Luc Van Doan ». Cette femme-coiffée « à la garçonne », à la posture conquérante, au visage gracieux mais volontaire, à l’ao dai porté fièrement et au foulard nomade-en témoigne avec grâce. L’artiste a laissé le fond vide, accordant exclusivement l’espace à cette hanoïenne et… à son tabouret qui, ici, se transforme en socle tant le modèle nous sollicite. Adjugé à 2 125 000 HKD (241 000€ / 273 000 USD).
Le plus extraordinaire Hoang Tich Chu jamais présenté en vente, dont la fantasmagorie et le sens du détail le disputent à la technique ambitieuse a atteint 2,5 millions de HKD (284 000€ / 321 000 USD).
Nguyen Tien Chung (lot 312) obtint 1 250 000 HKD (142 000 €/ 160 000 USD).
Les deux artistes – condisciples aux Beaux-Arts et beaux-frères dans la vie, travaillant souvent ensemble – obtiennent, ici, à titre individuel leur record du monde. On se souvient du fantastique prix qu’il obtinrent collectivement chez Christie’s, toujours à Hong Kong, le 28 mai 2017, pour leur laque « La Moyenne Région » (4 625 000 HKD, 527 000 €/ 593 000 USD).
Après un beau Nguyen Gia Tri (lot 313) parti à 275 000 HKD (31 000 € / 35 000 USD) les acheteurs ont été séduits par de plaisants Mai Thu (lots 314-315-316-317) notamment « Le Pont » un tableau enchanteur de 1954 et « Au bord de l’étang » (lot 317) une suave œuvre de 1944, atteignant respectivement 3 250 000 HKD (369 000€ / 417 000 USD) et 3 500 000 HKD (397 000€ / 449 000USD).
Tran Binh Loc (lot 318) a vu son estimation basse multipliée par 20 à 2 500 000 HKD (284 000 € / 320 000 USD). Les vrais amateurs ont été séduits par cette grande sœur et son petit frère peints en 1934 sur un fond diaphane. L’artiste, mort trop jeune à l’âge de 27 ans a laissé peu d’œuvres, certes inégales. Celle-ci compte parmi ses meilleures.
Une simple remarque et une heureuse conclusion au terme de cette énumération:
La remarque tient à l’allusion à la victoire française d’Austerlitz, le 2 décembre 1805, et au beau soleil qui l’accompagna. Cela n’est pas qu’anecdotique. En effet Napoléon – grand administrateur s’il en fut – fit promulguer la loi du 10 mai 1806 qui prévoyait une réorganisation complète du système éducatif français. Les « Beaux-Arts » de Paris, certes héritiers de l’ Académie de Saint Luc (1391) et de l’Académie Royale de peinture et de sculpture (1648) en sont issus à la suite d’un décret du 24 février 1811. L’École des Beaux-Arts d’Hanoi – créée par Victor Tardieu le 27 octobre 1924- en est elle-même la transposition en Indochine. En provoquant (quel délice…) un peu on peut donc affirmer que sans Napoléon 1er, il n’y aurait pas eu de Victor Tardieu actif et sans Victor Tardieu (là c’est la vérité historique… ) pas d’École des Beaux-Arts d’Hanoi et donc… pas de peinture vietnamienne du 20 ème siècle…
Précisons simplement que les 9 peintres évoqués plus haut sont tous diplômés des Beaux-Arts d’Hanoi.
En 1930 : Le Pho, Mai Thu, Nguyen Phan Chanh; 1931: Vu Cao Dam ; 1934: Tran Binh Loc ;1936 : Nguyen Gia Tri ; 1937: Luong Xuan Nhi ; 1941: Nguyen Tien Chung et Hoang Tich Chu.
La conclusion tient en une constatation : l’art du Vietnam bénéficie actuellement de collectionneurs de grande qualité, enthousiastes et exigeants dont le goût s’affine vente après vente. Ils sont pour certains en train de constituer de somptueuses collections.
La peinture vietnamienne ni phénomène de mode, ni spéculation voit ses prix à qualité égale ou supérieure s’aligner progressivement sur ses homologues asiatiques.
Un rayon de soleil à l’Est : lumière et sérénité…
Jean-François Hubert