Luong Xuan Nhi, « Portrait de dame », 1939, ou l’élégance du combat
Les années 1930-40 au Vietnam voient une remise en cause résolue du confucianisme et la promotion accrue de l’indépendance du pays. Celle-ci, évoquée, réclamée ou exigée, participe de toutes les strates sociales vietnamiennes.
L’habillement est un acteur visible et non négligeable de cette double émancipation. Si l’homme vietnamien « moderne », s’est le plus souvent converti au costume à l’occidentale, la femme « moderne » vietnamienne, telle celle de notre peinture, souscrit au nouveau code vestimentaire que Nguyen Cat Tuong – lui-même un ancien de l’École des Beaux-Arts d’Hanoi, diplômé en 1933 – promeut (aidé notamment par Le Pho) en réinventant l’ao dai originel. Celui-ci projetait l’image traditionnelle d’une féminité qui s’avère surannée : la femme « honnête » – au-delà de son courage, ancestral – se devait d’être sage, innocente, soumise (à son père, son mari, son oncle, son frère…) et éloignée de toute manifestation d’attractivité physique, incarnant une fidélité sans faille au vieux dicton vietnamien « Cái nết đánh chết cái đẹp » (la vertu avant la beauté).
Un tabouret, comme le socle de la femme sculpture. Un fond en camaïeu de beige qui fait ressortir la force légitime : cette femme, fière.
L’ao dai de Nguyen Cat Tuong est constitué d’un corsage qui frôle les contours du corps puis se divise en deux pans qui s’écartent à la hanche et tombent sur le pantalon. Ce nouveau vêtement cristallise bon nombre des idéaux du Tự Lực văn đoàn (Groupe littéraire autonome).
Promu, porté, assumé, l’ao dai moderne propose aux femmes de montrer leur beauté, d’exercer leur sensualité et de remodeler le monde à leur image.
C’est dans ce maintien relâché, ce vêtement iconique, agrémenté d’un foulard faussement désinvolte, ce visage mutin et cette coiffure à la garçonne que Luong Xuan Nhi illustre beaucoup des interrogations de cette année 1939 au Vietnam.
Mais ceci est déjà une autre histoire.
Jean-François Hubert