« Une Tasse de Thé » par Le Pho

16 mars 2020 Non Par Jean-François Hubert

Il n’est plus nécessaire de rappeler que Le Pho a célébré la femme vietnamienne tout au long de sa vie d’artiste.

Ce qui rend extraordinaire ce tableau exécuté avec une grâce particulière est qu’il s’agit d’un portrait et pas d’une « inconnue » :

Cet « ao dai » blanc, ce regard de biche, ce nez un peu fort, cette bouche pulpeuse, tout cela nous évoque la « Jeune fille en blanc » que Le Pho avait déjà peinte en 1931.

La Tasse de Thé - Le Pho
La Tasse de Thé – Le Pho

Rappelons juste que Le Pho était tombé amoureux de la plus belle femme d’Hanoi mais que sa demande en mariage avait été refusée par le père de la belle convoitée. Le Pho n’oubliera jamais cet amour déçu et sa peinture sera tout au long de sa vie une ode à la femme perdue. Elle, restée à Hanoi, ne se vêtira plus que de blanc (la couleur du deuil) jusqu’à sa mort.

«  Une tasse de thé » a été peinte vers 1938-40. 

Réminiscence…? Nostalgie… ? 

La sensualité élégante du peintre s’est affirmée depuis 1931 et son installation définitive en France (en 1937).

Paradoxalement, car plus jeune, la jeune femme de 1931 nous apparaissait résignée – les mains jointes – à la perte de son amour.
Dans notre oeuvre de 1938-40 peut-on plutôt voir une invitation de cette jeune femme, plus vive et plus fraiche malgré les années acquises ? 

A qui ? Pour quoi ?

Quelques éléments d’approche : au-delà du costume et du décor hanoiens, classiques, la posture est très originale : la tasse de thé est proposée à l’hôte, (le peintre ?), en une douce invitation. Les rideaux gris, le bois noir du siège nous concentrent en le rehaussant sur l’ao dai blanc. Au fond, l’espace pourrait être clos par les rideaux… Les yeux, embués, témoignent d’un amour poignant. Les lèvres charnues, ornées de rouge sont comme une invitation.

En haut de l’épaule gauche de la femme un polygone rose, ambigu, entre le bois dur du fauteuil et la douceur du tissu questionne – autant qu’il la « sublime » – la scène…

La femme aimée mais perdue à jamais n’est plus appuyée sur un coussin polychrome les mains entrelacées (comme dans l’oeuvre de 1931) mais est devenue conquérante, comme le peintre lui-même qui à la fin des années 30 sait déjà que sa vie se déroulera en France.

Sans elle.

Jean-François Hubert