Hoang Tich Chu, 1950, « La Haute Région du Tonkin », ou un naturalisme fantasmagorique
Son diplôme de l’École des Beaux-Arts d’Hanoi obtenu en 1941, Hoang Tich Chu, ouvre un atelier de laque avec son condisciple (diplômé la même année) et ami Nguyen Tien Chung, rue Hàng Khoai, à Hanoi. Ils proposent aux amateurs des vues d’Hanoi (« Hoan Kiem », « Tay Ho »…) mais aussi de lieux proches comme « La Pagode de Maître Tay », Bac Ninh, et, plus loin, la baie d’Halong et la Moyenne Région et une grande laque pour une des églises de Hué.
Dans ces années 40 s’inscrit la règle de conduite que Hoang Tich Chu s’imposera toute sa vie durant : concevoir, exécuter, approfondir son œuvre, par lui-même ! Loin de la démarche d’un Pham Hau répétant souvent le même thème (combien de « cerfs »?) et s’adjoignant, pour cela, bon nombre d’assistants comme le fera, plus tard, Nguyen Gia Tri. Pas de répétition thématique , pas d’exécution déléguée chez Hoang Tich Chu.
Hoang Tich Chu ferme son atelier hanoien en 1946 et rejoint le Vietminh, dans sa lutte pour l’indépendance, dans la région de Bac Ninh qu’il connait parfaitement, étant natif de Tu Son.
Il quitte le maquis en 1947 pour retourner à Hanoi. Ces deux années ont muri un changement de style : son trait est plus ample et sa palette devient plus colorée. À Dong Ky, où il a beaucoup séjourné, il a observé la technique des artisans chevronnés du travail du bois et de ses techniques annexes comme le travail de la nacre. Il a aussi côtoyé les éleveurs de buffles et vaches qui ont l’habitude ancestrale de se rendre à Lang Son puis, plus loin, à Cao Bang, pour y acheter du bétail et le vendre dans le delta.
Sur leurs indications il s’y rend à la fin de 1948 et rentre à Hanoi pour le Têt de 1949 après un séjour de 3 mois. C’est là que s’élabore cette très grande (2,30 m) laque en 5 panneaux, chacun d’entre eux constituant presqu’un tout et donnant à l’ensemble sa majestuosité.
Le peintre nous y offre un paysage – habité – de la Haute-Région qu’il se refuse à situer précisément : une profusion de pains de sucre, de rizières en terrasses, de maisons sur pilotis, typiques des Thai mais aussi des Hmongs et des Nungs. Des petits chevaux hmongs, l’un brun, l’autre blanc, des buffles et des paysans repiquant le riz, guidant les buffles tirant la charrue. C’est l’observation d’un homme chantre du naturalisme mais d’un naturalisme fantasmagorique. Tout est vrai mais, surtout, tout est ressenti : la poésie de l’artiste…
L’œuvre est accompagnée d’un dessin préparatoire exécuté sur place fin 1948 et de 3 fragments de calque (à l’échelle 1/1) probablement exécutés à Hanoi en 1949. Ils nous renseignent sur la technique du peintre : dessin sur le motif, puis calque en atelier puis exécution de la laque proprement dite. Bien plus encore ils nous démontrent un artiste excellent dessinateur.
Hoang Tich Chu aime la couleur : jaune, rouge, blanc, noir, vert, argent, or, explosent dans son oeuvre. Mais l’abondance n’est rien sans la subtilité : de fines différences de tons, le choix entre l’aplat et la poudre, l’emploi subtil de la coquille d’œuf fondent la qualité de l’œuvre. Par exemple (comme pour Nguyen Gia Tri, chaque cm2 d’une laque de Hoang Tich Chu mériterait un long commentaire…), le peintre utilise la convexité et la concavité des fragments de coquille. Après recouvrement par une couche de laque, les convexes apparaissent blancs et les concaves plus foncés. Cela autorise encore plus d’effets au peintre.
Sa mère Hoang Tuyet Trinh, bijoutière, a une influence directe sur Hoang Tich Chu en l’encourageant à l’usage de l’or. En poudre pour l’eau des rizières ou en feuille pour le ciel au dessus des montagnes. L’eau et l’air, principes de vie, ainsi magnifiés par l’or.
Hoang Tich utilise également la poudre d’argent, notamment dans les buissons.
Mais aussi comme pour un des buffles, par exemple, un double effet de ton sur ton mais aussi de coquille d’oeuf et de laque. Notons outre les nombreux effets d’ombre – les montagnes et les gens et les buffles qui se reflètent dans l’eau des rizières – et les nombreuses incisions qui, par exemple, surlignent le tronc et les branches bruns d’ arbres ou, ailleurs, les feuilles dorées.
L’œuvre que nous présentons ici, majestueuse et subtile, véritable chef d’œuvre, témoigne de la ferveur artistique et de la technique parfaite d’un peintre à son sommet.
Jean-François Hubert