Le Pho – La Pagode

25 février 2020 Non Par Jean-François Hubert

L’histoire ancienne du Vietnam témoigne d’une double nécessité pour le pouvoir en place : défendre un territoire (menacé au Nord à l’Ouest et au Sud) et conforter une monarchie indépendante depuis le retrait chinois. Pour y pourvoir, très vite la nécessité de former des administrateurs s’impose aux autorités compétentes.

C’est dans ce but que la Cour décide la construction, à Hanoi, en 1070 d’un monument dédié à Confucius, connu sous le nom de « Temple de la Littérature » (« Van-Mieu »). A l’origine, ce monument comportait 3 statues de disciples de Confucius et 72 portraits peints d’autres disciples (Philippe Papin, Histoire de Hanoi, 2001, p.78 – Je vous recommande la lecture de cet excellent ouvrage).

En 1075, le premier concours n’est accessible qu’aux enfants de la famille impériale (ou royale… selon le statut reconnu à l’État vietnamien…) et de l’aristocratie.
Petit à petit les critères de sélection se précisent : pour atteindre le grade de « lettré supérieur », un solide talent littéraire, une grande capacité d’écriture et une solide culture générale fondée sur la connaissance du bouddhisme, du confucianisme et du taoïsme doivent être démontrés.

Le Pho nous décrit un « Temple de la Littérature » resté dans la même configuration depuis son origine si l’on excepte le haut mur extérieur rajouté en 1833. Le peintre semble sensible à l’atmosphère sereine qui émane de ces jardins et bassins et au minimalisme de l’architecture et de la décoration qui ajoutent à la magie du lieu.

Lorsqu’il exécute cette très grande peinture (111,5 x 140cm) en 1930, Le Pho vient juste d’obtenir son diplôme dans la première promotion de l’École des Beaux-Arts d’Hanoi. Il est l’élève préféré du fondateur de l’École, Victor Tardieu (1870-1937).

Que veut-il exprimer ici, lui le mandarin éduqué, le fils du vice-roi du Tonkin « colonne de l’Empire » ? 
Un hommage à un pouvoir révolu, une volonté de retour à un monde passé ?

Non.

En 1930 Le Pho est averti depuis un an qu’il participera artistiquement et physiquement à l’Exposition Coloniale qui se tiendra à Paris en 1931. Il pense à son avenir de peintre et sait que seule la quête de l’universel vaut pour un artiste. Il ressent que sans remise en cause de sa propre identité son oeuvre confinera au banal.

Examinons de plus près la peinture :

Le Pho - La Pagode
Le Pho – La Pagode

Du temple, le peintre nous offre une vision plus charmante que solennelle. Le monument est évoqué pas célébré. Les bâtiments sont figurés mais ce sont les arbres qui sont les vrais acteurs de la scène. Troncs puissants et branches enserrent les constructions. Quelques personnages (essentiellement une dame et un enfant) sont montrés comme de simples badauds même pas des visiteurs. La scène toute entière en tons de vert et de marron postule que la nature surpasse les humains.

Notre peintre, en cette année 1930, a-t-il déjà pris sa décision ? Nul ne le saura jamais mais l’oeuvre d’un peintre, toujours messianique, parle pour lui. 

En 1931 Le Pho se rend à Paris, visite l’Europe puis retourne à Hanoi en 1932 où une situation enviable l’attend : un poste de professeur à l’École des Beaux-Arts, un groupe de collectionneurs conquis, et l’aisance (culturelle et sociale) de son pays natal.

Le Pho chez lui consultant le catalogue de Christie’s dont il fait la couverture. 1999.

Pour autant, il sait que le vrai pouvoir en art s’exerce à Paris, la « ville-lumière ». S’adresser à un monde mandarinal mort ne l’intéresse plus. Dorénavant, sa quête de l’absolu l’entrainera sur les pas de Bonnard et Matisse qu’il admire.

« La Pagode » est un constat. La nostalgie est surannée.

En 1937, Le Pho quitte le Vietnam pour Paris. Il ne reverra jamais son pays natal.

Jean-François Hubert