Bui Xuan Phan, « Portrait de mon fils Bui Ky Anh », 1979, ou un requiem seculier

26 juin 2025 Non Par Jean-François Hubert

« Portrait de mon fils Bùi Kỳ Anh », technique mixte sur papier, signé et daté 79 en haut à gauche mesure 7 x 5 cms. La taille de ces (ses) vignettes où Bui Xuan Phai cristallise son talent.

Bui Xuan Phan – Portrait de mon fils Bui Ky Anh

Dépassant ici sa propension à représenter à foison les rues, principalement d’Hanoi, ou les acteurs du chéo, Bui Xuan Phai nous offre une œuvre intimiste, rare : le portrait posthume de son fils aîné Bui Ky Anh (1954-1978) en tenue militaire.

Un portrait sensible, intimiste et émouvant, exécuté un an après la mort de son fils.

Un portrait aussi militant.

Un soldat sans arme, portant une casquette et non un casque, qui ne s’affiche pas mais porte son regard au loin.

Grave.

L’artiste lui « pose » une tache de couleur entre les lèvres, du même jaune ocré que le fond. Ce même fond, strié, lui, de traits noirs saccadés, du même noir avec lequel Bui Xuan Phai structure le buste de son fils. Traits noirs qu’il avait particulièrement utilisés dans sa série de « tableaux réalisés en abri souterrain » lors des tragiques bombardements américains d’Hanoi en décembre 1972.

Le 30 avril 1975, Bui Kỳ Anh incorporé dans l’armée du Nord entre dans Saïgon avec son unité appuyée par des chars. Quelques jours plus tard, poussé par une impulsion soudaine, il erre seul dans la ville à la recherche de sa tante maternelle (la sœur cadette de sa mère), « émigrée » du Nord au Sud en 1954. Leurs retrouvailles furent remplies de joie et de larmes. Cette tante, qui travaillait pour une compagnie aérienne française, et qui devait qualifier de « chute « et non de « libération », le nouveau statut de Saïgon, insista pour qu’il restât quelques jours chez elle. Mais à son retour dans son unité, Bui Kỳ Anh fit l’objet de sanctions disciplinaires pour son absence non autorisée.

Démobilisé, il retourne à Hanoi. Mais ex-soldat sanctionné, idéologiquement suspect, d’une extraction familiale elle-même politiquement peu solvable, l’avenir paraît sombre. Son père fut en effet très proche du mouvement Humanisme et Belles Lettres, ce qui lui vaudra une exclusion en octobre 1956 de l’École des Beaux-Arts d’Hanoi (réouverte en 1955) où il enseigne et l’interdiction de parution de ses dessins. Et si la situation s’améliora ensuite, un contexte politique délicat persiste dans ces années 75-78 à Hanoi…

De fait, Bui Kỳ Anh eut énormément de mal à trouver un emploi. Il sombra alors dans une longue période de profonde dépression.

De son vivant, il n’aborda pas la peinture, bienfait de son père et méfait de son frère, Bui Thanh Phuong le futur faussaire de leur père commun. Il préféra nourrir une profonde passion pour la littérature et écrit de nombreux poèmes, échangeant passionnément avec Lưu Quang Vũ (1948-1988) et son épouse Xuân Quỳnh (1942-1988), tous deux immenses poètes.

En 1978, à l’âge de vingt-quatre ans, il décède dans un tragique accident de la circulation.

Et c’est un an plus tard que Bui Xuan Phai, le père se faisant aider de l’artiste, nous offre ce portrait.

Un requiem séculier et critique : à quoi bon ?

Jean-François Hubert