« Mère Et Enfant » de Le Thi Luu
Il faut imaginer la scène : 1992 , nous sommes tous les trois réunis : Le Pho, son épouse Paulette et moi dans leur élégant appartement, rue de Vaugirard, dans le 15ème arrondissement de Paris.
Comme à chaque fois, j’ai apporté des peintures, des lettres, des photographies dans le but de forger, dans l’échange, ma connaissance en art vietnamien, à la meilleure source.
Comme à chaque fois, l’atmosphère est douce mais studieuse , teintée d’élégance et de sérénité : la marque du peintre et de son épouse.
Ce jour la, j’avais apporté une photographie – de la jeune Le Thi Luu (1911 – 1988) – prise durant son année préparatoire (1926) à l’École des Beaux-Arts d’Hanoi (dont elle sera diplômée en 1932).
Je saisis alors le regard, tendu, insistant de Le Pho qui glissa, comme dans un soupir : « Elle était si belle ! ». Je vis aussi l’expression de Paulette et compris immédiatement combien Le Thi Luu avait marqué son empreinte sur Le Pho…
Le même charme surnaturel opère dans ses peintures : pourtant, elle reste encore la moins connue (cela s’améliore rapidement) du quatuor magique (avec Le Pho, Vu Cao Dam, Mai Thu) des peintres vietnamiens qui, entre 1931 et 1940 (pour elle) se sont installé en France. On peut incriminer une misogynie certaine qui polluait encore la lucidité de la France et du Vietnam de ces années là mais surtout une faible quantité de peintures exécutées par Le Thi Luu.
Son oeuvre reste à découvrir, pourtant l’on peut affirmer que, de tous les peintres issus de l’École des Beaux-Arts d’Hanoi, elle est celui qui est le meilleur portraitiste. La douceur et la bonté qu’elle laisse émaner de ses modèles le démontre.
Cette « Mère et enfant « en témoigne : leur douceur radieuse illumine la berge du fleuve vietnamien où voguent les sampans.
La subtilité des tons de gouache utilisés sur la soie, la composition aérienne du sujet, montrent ici Le Thi Luu à son plus haut niveau d’expression.
Jean-François Hubert