Mai Thu, 1959, « Les Enfants » ou la certitude d’un espoir
C’est une époustouflante œuvre de Mai Thu que nous avons l’honneur de présenter.
En 1959, l’année de notre peinture, le peintre, âgé de 53 ans, est en droit de dresser un bilan positif de ses 22 années de présence continue en France.
Depuis 1937, il a exposé à Paris, notamment à l’AGINDO, au Salon des Indépendants, mais aussi dans des galeries privées renommées comme Hessel, Roux-Hentschel et Conti, parmi d’autres. Hors de la capitale, ses œuvres ont été vues notamment jusqu’en Algérie française, à Oran et Alger, dans les galeries Pasteur et Romanet ou à Vichy au sein de la galerie Lorenceau.
Ces expositions, réussies, l’ont mieux fait connaître des collectionneurs qui appréciaient ses œuvres depuis l’Exposition Coloniale de Paris en 1931. Renforçant ceux qui l’avaient découvert, plus tôt au Vietnam grâce aux efforts de promotion de l’École des Beaux-Arts d’Hanoi. Des achats d’État en 1940 (« Scène de la vie annamite ») et 1941 (« La musique ») sont venus lui apporter un peu plus la caution de la puissance publique si chère aux Français. Marié en 1954, père en 1956, Mai Thu, probablement comblé affectivement, se renforce professionnellement : l’année précédente (le 10 juin) il a signé un contrat d’exclusivité avec le galeriste Jean-François Apestéguy qui saura admirablement guider sa carrière. Musicien très apprécié, il obtiendra l’année suivante un important « Grand prix du disque » (avec Tran Van Khê) pour « Musique du Vietnam ».
Oui, en cette année 1959, Mai Thu est un artiste enthousiaste et un homme serein.
Enthousiasme et sérénité qui éclatent dans « Les enfants », une œuvre rare, non seulement subtile mais joyeuse.
Des enfants, donc. Huit garçons et deux filles.
Mais aussi deux oiseaux, face à face, l’un posé sur une branche, l’autre en vol.
Quatre ou six (tant ils sont enchevêtrés) arbustes, l’un touffu au premier plan, les autres plus loin, ténus.
Un plat, un creux puis une colline principale et un vallonnement, le tout agencé en plusieurs niveaux de lignes qui s’achèvent sur le toit d’une maison au fond.
Petit clin d’œil à la peinture chinoise, Mai Thu place l’arbuste touffu et certains des enfants à notre niveau de vision de l’œuvre, relève la ligne d’horizon mais pas suffisamment haut pour faire disparaître le ciel. Juste un clin d’œil car c’est la maison qui clôt l’horizon.
Le grand format de l’œuvre, son fond à plusieurs tons de marron, les couleurs sobres de la gouache utilisée pour les vêtements, l’encre des chevelures, les visages, expressifs, très soigneusement peints, formalisent le message de l’artiste : De ce groupement de miniatures — chacun de ces enfants pourrait constituer à lui seul une œuvre autonome du peintre — qui fonde un ensemble somptueux, émane une vision forte subtilement éclairée par les expressions des visages et les postures des enfants.
Filles et garçons ne sont pas vêtus du costume « habillé » – que le peintre a représenté souvent – mais sobrement.
Ce ne sont pas non plus les enfants de la guerre, aux traits émaciés, aux postures de détresse comme le peintre les a décrits dès 1954 à la fin de la première guerre d’Indochine et la partition du pays puis, plus tard, égrenant la tragédie de cette guerre civile et de ses victimes innocentes pour lesquelles il exprimera constamment une extrême compassion.
Ils ne sont pas non plus associés aux accessoires que le peintre se plaît souvent à décrire méticuleusement. Pas de pinceaux, de stylos, de livres, d’encrier, de vases, de meubles, de tentures, de jeux, d’instruments de musique, d’éventail, de panier. Et notre liste n’est pas close…
Pas non plus de cette atmosphère feutrée, intérieure, souvent langoureuse, qu’il affectionne.
Dans ce plein air, il n’y a pas non plus d’adultes. Pas de sœur ou de mère attentionnée, de grands-parents respectés.
Aucun intermédiaire. Ni matériel, ni humain.
Non, le sujet ce sont les enfants. Purement eux. Immédiats.
Les couleurs de l’ensemble ordonnent une triple structure géométrique ovale — rectangle triangle. Le groupe entier pour l’ovale, les tuniques et pantalons clairs pour le rectangle et l’encre des chevelures pour le triangle. Une construction que Nguyen Phan Chanh, son condisciple de l’École des Beaux-Arts de Hanoï, affectionnait particulièrement. Mai Thu centre la scène sur les deux oiseaux, point quasi-central de l’œuvre. Et nous « oblige » ainsi à nous concentrer – dans tous les sens du terme – pour recueillir son message.
Observons les enfants de haut en bas et de gauche à droite au sein des quatre strates matérialisées par l’artiste.
Sont illustrés successivement la découverte interrogative, le sommeil (le rêve ?), l’attention perspicace, la persuasion, l’observation attentive, l’observation distante, la désignation, l’affirmation, l’écoute, le questionnement.
Notons que les deux petites filles – minoritaires dans ce groupe bien masculin mais Mai Thu est aussi un confucianiste… – semblent s’adresser l’une à l’autre, l’une pointant son doigt vers les oiseaux comme pour les signaler à l’autre qui les scrute déjà fixement.
Les garçons interagissent car chacune de ces activités n’est rien sans une des autres.
Ici sont les activités les plus nobles de l’être humain lorsqu’il se voue à l’observation, à la réflexion, au dialogue. Quand il incarne l’humanisme.
Le cadre exécuté par l’artiste vient – par son double filet doré – comme enchâsser la soie peinte et – par sa coloration argentée en aplats à décor floral et végétal — en rehausser la luminosité en soulignant les éléments à tons clairs (tuniques et pantalons des enfants et portions du mur et du toit de la maison).
Mai Thu veut nous dire, parce qu’il le croit, parce ce qu’autrement rien ne vaut d’être vécu, que le monde sera sauvé par sa jeunesse.
Comme la certitude d’un espoir.
Mais si cette année 1959 peut et doit être celle de l’espoir, les années qui suivront verront s’accumuler les tourments. Mai Thu ne le sait pas encore mais de « ses » enfants de 1959, tous souffriront sur sa terre originelle du Vietnam. Loin de lui s’y déroulera une guerre fratricide.
Ces (ses) enfants, comment l’ont-ils vécue ?
Jean-François Hubert
[…] aussi une confiance dans les enfants, un pari sur l’avenir qu’il exprime: ces enfants qu’il décrit toujours subtilement. Dans toute son œuvre Mai Thu semble faire sien ce vers de Victor Hugo: « L’enfant c’est un […]