Mai Thu, 1961, « Mère et enfants » ou la Quân Âm laïque

15 novembre 2023 Non Par Jean-François Hubert

Le fond clair nuancé, au discret décor végétal, le cadre exécuté par l’artiste avec ses motifs fleurs et de rinceaux à peine esquissés, aux tons neutres, mettent en exergue la chaleur colorée du groupe central.

Celui-ci affiche une verticalité drastique, amplifiée par les dimensions de l’œuvre (53 x 20,5 cm) et bornée par les tons proches de la coiffe de la mère en haut et du pantalon du petit frère en bas. On notera le noir d’encre des chevelures qui compose un triangle, pointe vers le haut, comme une armature. Aussi les pieds en V inversé des deux enfants en bas à gauche et à droite comme un soutien de l’édifice.

Un tronc-maternel et des racines-branches enfants.

Voici comment Mai Thu nous décrit cette famille. Non pas 5 individus assemblés mais 5 personnalités complémentaires qui se révèlent supplémentaires car, nous suggère le peintre, le groupe familial ne dissolve pas l’identité de chacun mais l’enrichit.

L’habillement est celui, classique, de la « bonne société » tonkinoise dont est issu Mai Thu. En témoignent, l’ao dai et la coiffe de la mère et les vêtements simples mais raffinés des enfants. On remarquera le châle confortable qui devait envelopper le bébé et que sa mère a écarté pour mieux présenter son enfant.

Le peintre nous peint un bouquet de sensiblités  exprimées d’une part par l’expression des visages et d’autre part par les positions des mains de chacun. 

Les visages : celui attendri et attentif de la mère, sa main droite qui sécurise le maintien de l’enfant pendant que sa main gauche, masquée, le porte, munie du châle qui l’emmaillotait. Celui, observateur, du petit enfant, qu’elle tient dans les bras. Les 3 visages des enfants – de gauche à droite, espiègle, interrogatif et scrutateur – précisés par les positions de leurs bras: successivement, fermement croisés, enlaçant un peu craintivement son voisin, ballant, les mains sagement jointes.

C’est un éloge de la mère que nous propose, à nouveau, Mai Thu: cette mère qui donne la vie, qui éduque, nourrit et protège avec force et discrétion.

C’est aussi une confiance dans les enfants, un pari sur l’avenir qu’il exprime: ces enfants qu’il décrit toujours subtilement. Dans toute son œuvre Mai Thu semble faire sien ce vers de Victor Hugo: « L’enfant c’est un feu pur dont la chaleur caresse » (Les Rayons et les Ombres (1840), Mères, l’enfant qui joue à votre seuil joyeux). 

Ces enfants : des garçons primesautiers, une fille posée, comme le relais, déjà, de sa mère.

Notre peinture est une ode à celle-ci dont Mai Thu fait presque une Quân Âm (la « pourvoyeuse d’enfants ») laïque. 

Comme un hommage en miroir au bodhisattva et à cette mère laïque.

Pas au père.

Dans l’œuvre de Mai Thu, il est aisé de constater que la représentation de la gente masculine y est extrêmement minoritaire

Comme un manque de confiance. 

Comme surtout une contestation du confucianisme, qui dans les faits, soumet la femme à l’homme. Un confucianisme que Mai Thu a réfuté comme tous les peintres vietnamiens de sa génération et dont il fera des citations symboliques dans ses peintures.

Avec subtilité et dévotion. Et un immense talent.

Jean-François Hubert