To Ngoc Van, 1942 « La Jeune Femme » ou la certitude du vrai
Lorsque To Ngoc Van peint ce tableau, il a 36 ans et une vie sociale accomplie : diplômé de l’École des Beaux-Arts d’Hanoi, sa ville natale, en 1931, artiste multi-primé, ancien Directeur de l’École des Beaux-Arts de Phnom Penh (1935-38) puis professeur à l’École des Beaux-Arts d’Hanoi.
Cette même année 1942, il crée le FARTA (Foyer de l’Art Annamite) avec Lé Van Dé, Tran Van Can, Luong Xuan Nhi, Nguyen Khang et Georges Khanh. Un lieu autonome où les artistes peuvent exposer leurs œuvres et confronter leurs idées. Cette démarche reprenait l’idéologie du groupe littéraire nationaliste, fondé en 1932, le Tu Luc Van Doan (Groupe littéraire autonome). To Ngoc Van n’en fut pas un des 7 membres fondateurs (Nguyen Gia Tri, oui…) mais il participa activement aux périodiques Phong Hoà (Mœurs), et Ngay Nay (Aujourd’hui), supports de celui-ci. Prôner la modernisation de la société, de la culture et de la littérature vietnamiennes, telle est l’ambition du mouvement. Cela implique de « Reconnaître le rôle de la femme dans la société » comme énoncé précisément au point 6 des « Dix préceptes à méditer » d’un mouvement qui lutte aussi contre un confucianisme qu’il juge désuet.
L’appropriation des concepts occidentaux doit permettre une régénération de la nation vietnamienne puis d’accéder plus tard à l’indépendance.
Notre huile sur toile (73 x 54 cm) témoigne de cet hommage-promotion que To Ngoc Van rend à la femme vietnamienne : son ao dai moderne, sa coiffure tonkinoise, son maquillage, la posture déhanchée, les mains juste esquissées sont déjà des classiques picturaux en 1942.
Sa posture, défiant la soumission confucianiste et l’exigence que l’on lit dans son regard sont novateurs. Le fond végétal et floral dominé par un vert profond parsemé de touches roses, jaunes et blanches vivifie la belle hanoienne.
Cinq ans plus tard, To Ngoc Van, le patriote quitte Hanoi pour le maquis du Viet Bac. Il y exercera de multiples responsabilités dans le combat pour l’Indépendance. Mais le patriote n’efface pas l’artiste : dans un article daté du 1er juillet 1947, il oppose l’art et la propagande et (ré)affirme que le premier a une valeur éternelle, la seconde un intérêt momentané. En 1949, dans un autre article (« Faut-il ou ne faut-il pas étudier ? ») il déniera aux masses la faculté de critiquer les artistes car celles-ci n’ont pas la qualification nécessaire, faute d’étude(s)… Nguyen Dinh Thi (1924-2003) le contrera dans un grand débat (25-28 septembre 1949) dans le Viet Bac.
Fin de ban…
Plus tard, en 1953, To Ngoc Van sera envoyé en rééducation dans le village de Ninh Dhan près de Phu To.
To Ngoc Van a produit peu d’œuvres (si l’on excepte de nombreux dessins) et celle-ci est exceptionnelle. Acheté directement à l’artiste par Léon Lipschutz, fondé de pouvoir de la Banque Franco-Chinoise à Hanoi notre tableau fut rapporté en France en 1946. Il a conservé son cadre d’origine des années 1940.
Artiste d’exception, habile dans toutes les techniques comme en témoignent (sur soie) « Les désabusées » de la collection Tuan Pham, To Ngoc Van fut un grand humaniste, de ceux qui cherchent la certitude du vrai contre la violence de la pensée.
Jean-François Hubert