Le Pho « Maternité », 1940 : du sacré européen au pluriversel laïque.
La première fois que Le Pho aperçut une « Vierge à l’enfant« , fut probablement au Vietnam, dans une église, une école ou un monastère.
Mais le véritable impact artistique semble avoir eu lieu lors de son tout premier séjour en France où il se rend, en 1931, en tant qu’assistant de Victor Tardieu – alors directeur de l’École des Beaux-Arts de Hanoi – pour l’Exposition Coloniale. Il visite, parmi d’autres villes, Moulins où il est particulièrement impressionné par un triptyque attribué à un peintre du XVe siècle connu seulement sous le titre : « Le Maître des Moulins ».
Il voyage également en Italie, Allemagne et Belgique, se délecte des nombreuses cathédrales et monastères et y admire les trésors d’art sacré. Il s’émerveille particulièrement devant les œuvres de Botticelli (1444-1510), Ghirlandaio (1449-1494) et Memling (1435-1495).
Ce premier voyage en Europe fut une profonde révélation pour l’artiste. Désormais, l’art sacré européen- ses thèmes, son style – s’inscriront dans son oeuvre. Madone, Jésus (enfant, mais aussi adulte), Nativité, Descente de Croix : tous thèmes que l’artiste abordera – surtout à la fin des années 30 et au début des années 40.
Bien que clairement inspiré par le thème religieux évoqué, Le Pho nous offre ici une Maternité vietnamienne et sécularisée, peinte en utilisant de la gouache et de l’encre sur soie. Tant étudiant (de 1925 à 1930) que professeur à l’École des Beaux-Arts (depuis 1934), à Hanoi, il perfectionna cette technique de la peinture sur soie. C’est lui-même qui m’expliqua son procédé : un morceau de soie de « pongé japonais » (c’est lui et Paulette qui employèrent ce terme) est posé sur un carton léger. De la « colle Remy » (termes également utilisés par l’artiste) est ensuite étalée, au pinceau large, sur la soie selon un tracé central en croix, un trait vertical puis un trait horizontal, et les bulles de colle sont soigneusement éliminées en les repoussant vers les bords de la soie. L’ensemble est ensuite mis à sécher pendant « toute une nuit » (idem). Enfin, la gouache et l’encre sont appliquées sur la soie.
Le présent tableau se distingue d’ autres œuvres comparables du peintre par l’intense affection que l’enfant manifeste à sa mère. Dans les autres compositions de Le Pho, c’est généralement l’affection de la mère envers l’enfant qui est privilégiée. Ici l’enfant exprime son amour en attirant affectueusement sa mère vers lui. Sa petite main autour de son cou, il l’embrasse sur la joue. En réponse, le sourire tendre et serein de sa mère, ses bras qui le serrent, évoquent le réconfort et l’amour inconditionnel qui fondent la maternité.
Ayant perdu sa mère à l’âge de deux ans, on conçoit que Le Pho ressente ce thème avec une acuité privilégiée.
Transludicité délicate et cohésion de la texture rythment l’oeuvre mais, et ce qui est le plus important, l’âme de l’artiste imprègne la peinture.
Une âme multiple qui-au-delà de la richesse et la complexité de son travail- réunit, pour les transcender, les thèmes du sacré, de la maternité, de la perte, de l’espoir, de l’influence occidentale et de l’identité vietnamienne.
Le sacré européen a engendré un pluriversel laïque.
Jean-François Hubert