« La Jeune Fille de Hué », 1937 : Mai Thu ou le renoncement sublime
En 1937, les deux meilleurs amis de Mai Thu ont déjà franchi le pas : Vu Cao Dam s’est installé à Paris dès 1931; Le Pho, après s’y être rendu en 1931-32 et visité une partie de l’Europe, y prépare son retour pour l’Exposition Universelle.
Mai Thu, lui, en cette année 1937, est professeur de dessin au lycée de Hué depuis plusieurs années.
Amour platonique ou plus nous ne le saurons jamais : Mai Thu est follement amoureux.
D’une de ses élèves.
C’est elle qui figure sur l’extraordinaire huile sur toile que nous présentons ici.
Lieu, lumière, elle : tout est grâce et distinction.
Le lieu : probablement la berge de la Rivière des Parfums, non loin de la pagode Thien Mu, où beauté et solennité rivalisent.
La lumière, si particulière de la Rivière, qui sert d’écrin à notre belle.
Elle, vêtue d’un ao dai blanc – la couleur du respect – que l’on porte, notamment, lorsqu’on se rend à la pagode. Mai Thu en fait un blanc lumineux presque scintillant, qui semble prolonger l’eau de la rivière et rehausse le léger déhanchement de la jeune fille. Sa main droite effleure à peine son chapeau conique, comme pour lui rappeler qu’il n’a pour vocation que de protéger son visage diaphane des rayons du soleil. Une torque, simple, enchâsse la grâce de son cou. Les yeux au loin, elle se laisse saisir par l’artiste avec ce charme distant qui sied aux jeunes filles de l’époque et du lieu. Son visage, empreint d’une détermination absolue, incarne une maturité que son rouge à lèvres carmin et ses yeux maquillés revendiquent.
Les petites barques sont à quai. Y resteront-elles ou vogueront-elles vers le milieu de la rivière, quand les amoureux qui se veulent loin des oreilles indiscrètes, les empruntent ?
Techniquement, l’absence d’aplats autorise de subtiles nuances de tons qui scandent la composition de la peinture.
Mais « La Jeune fille de Hué », en cette année 1937, est plus qu’un chef d’œuvre absolu.
Elle est le manifeste d’un artiste exceptionnel qui s’empare de son destin.
Car, il quittera tout leur monde, à lui, à elle.
Pour aller conquérir l’Occident.
Et son seul bagage vers l’Ouest seront son talent et le souvenir de cette femme-ci, de ce Vietnam-là.
Alchimie de l’universalité de l’art, il renoncera aussi à la technique de l’huile sur toile – importée de France – pour se consacrer exclusivement – en France – à la gouache et encre sur soie, technique vietnamienne qu’il emporte avec lui.
Poursuivre sa quête pour ne pas se renier, renoncer à ce qui aurait du être le rêve parfait d’un homme ordinaire : l’acte est sublime. Il sera légitimé par le succès universel de Mai Thu.
Lui, guidé toute sa vie par sa « Jeune Fille de Hué »…
Jean-François Hubert