Mai Thu, 1977 : « Conversation » ou le charme obligatoire de l’éloignement
1977 : deux ans auparavant, ce que certains appelleront (toujours…) la « chute », et d’autres, la « libération » de Saigon – qui deviendra Ho Chi Minh ville – marque la fin de la guerre du Vietnam. Une guerre que Mai Thu a toujours dénoncée en prenant toujours le parti des victimes jamais celui des acteurs.
Il nous offre ici une conversation entre deux femmes qu’il situe dans un lieu ou rambarde et mare évoquent tellement l’atmosphère du tombeau de Tu Duc à Hué qu’il ne peut s’agir d’une coïncidence. Hué… une ville si chère à Mai Thu…
L’austère chignon tonkinois pour l’une, les cheveux déliés à l’occidentale pour l’autre, chacune vêtue de l’ao dai. On remarquera que, retour à un ancien style, l’habituel coin de peau nue à la hauteur des hanches est masqué ici pour chacune par un sous-corsage. Orangé pour celle en bleu-roi, bleu-ciel pour celle en ocre.
L’une, hiératique devant la rambarde sur laquelle on imagine qu’elle a posé les mains, consent à écouter l’autre, déhanchée, qui semble évoquer les lotus blancs sur la mare. Dit-elle qu’ils sont plus difficiles à cultiver que les lotus roses, qu’ils sont si prisés à la Fête de Bouddha, le 7ème jour du 4ème mois lunaire ? Peu importe. Mais on ressent sa volonté d’engager un dialogue.
Elles ignorent l’artiste. La « Jeune fille de Hué », 40 ans plus tôt, elle, lui faisait face…proche et attentive. Pour autant, Mai Thu saisit leur grâce et leur éternité.
Il veut nous faire comprendre qu’elles sont le Vietnam du Nord et le Vietnam du Sud, et que cette main, qui charme plus qu’elle ne désigne, symbolise le questionnement, inquiet, du sud sur son avenir. Mai Thu partage cette inquiétude grandissante mais veut se persuader que le nord conservera les valeurs traditionnelles communes. C’est pour cela que notre nordiste est en tenue traditionnelle, loin de la réalité du moment…
Dans cette oeuvre magnifique, Mai Thu fait aussi le bilan de sa vie loin du pays natal – qu’il n’a revu fugitivement qu’une fois en 1962 – depuis son départ pour la France en 1937.
Il emploie des tons chauds comme pour cajoler un souvenir qu’il magnifie sur une soie de grande dimension qu’il borde d’un cadre qu’il a construit avec délicatesse, comme un gros plan du cinéaste qu’il est aussi. Il aurait pu accompagner la scène d’un air de dan doc-huyen dont il jouait parfaitement en humant l’odeur délicate des pins du tombeau de Tu Duc.
Il a 71 ans, il lui reste 3 ans à vivre.
Jean-François Hubert