Les Couturières, 1930 : Nguyen Phan Chanh ou l’épicurien de la simplicité

24 septembre 2020 Non Par Jean-François Hubert

Dès 1929, Victor Tardieu sait que l’Exposition Coloniale prévue en 1931 à Paris marquera, pour « son » École des Beaux-Arts d’Hanoi – qui doit y participer – soit l’enlisement de son projet, soit son succès… à confirmer, tant l’ambition de créer une véritable peinture vietnamienne moderne et ambitieuse peut paraître démesurée.

Nguyen Phan Chanh - Les Couturières
Nguyen Phan Chanh – Les Couturières
La liste de Victor Tardieu

Les premières années d’enseignement depuis 1925 ont certes révélé des talents parmi les élèves mais le directeur de l’École sait qu’en art il n’y a pas de talent sans public. Et celui d’Hanoi, sympathique, reste restreint.

Pour la grande exposition de Paris, où un public nombreux est attendu, Tardieu fait donc appel à ses meilleurs élèves et particulièrement aux plus anciens parmi lesquels Nguyen Phan Chanh. Tous témoignent d’un enthousiasme sans faille.

Peint pendant l’été 1930, « Les Couturières » participera à l’Exposition Coloniale (qui accueillera 8 millions de visiteurs) et y sera une des oeuvres asiatiques majeures.

Cadre Gadin - Exemple.
Cadre Gadin – Exemple.

D’une dimension exceptionnelle – 65,5 X 88 cm, l’artiste privilégiant plutôt des formats plus réduits – elle a conservé son cadre Gadin d’origine (du nom de l’encadreur parisien chargé de l’encadrement des oeuvres présentées à Paris) ainsi que son montage voulu par l’artiste, avec le double rectangle encadrant verticalement l’oeuvre, celui d’en haut étant le plus grand.

Le génie de l’artiste s’exprime dans l’extraordinaire composition géométrique qui caractérise les œuvres de sa première période : ici, la construction en double triangle (chacun des angles étant figuré par un aplat d’encre noir), les ajouts subtils d’un rond en haut à gauche, d’un rectangle ajouré au fond central mais aussi d’un triangle pointe vers le haut, légèrement à droite, d’espaces-plans verticaux ou horizontaux structurent l’espace à la manière d’un Kandinsky et nous mènent subtilement vers ces quatre jeunes femmes belles, dignes, attentives et affairées.

Dans un texte poétique et magnifique qu’il écrit dans une très belle calligraphie, le peintre nous précise le sentiment qu’elles lui inspirent:

Détail de l’œuvre

« Leur élégance et leur pureté sont sans égales 
Laquelle d’entre elles est la plus désirable ?
Comme la soie qu’elles cousent 
Chacune est unique et belle à sa façon.
 »

Les termes employés: « élégance », « pureté », « désirable » ,« unique », « belle », d’un mysticisme qui reste terrestre, sacralisent la monotonie voulue des tons tout en camaïeu de la gouache et parent ce groupe de jeunes femmes d’une sensualité élégante comme l’est la soie à laquelle l’artiste les compare.

Nguyen Phan Chanh n’est pas un nostalgique du temps passé mais le laudateur fasciné d’une beauté hors du temps.

Et le peintre le sait : le temps n’est qu’un voleur d’amour.

Jean-François Hubert