Les « Trois Jeunes Femmes » par Luong Xuan Nhi, 1936.
Luong Xuan Nhi (1914-2006) occupe une place importante au sein de la liste des artistes vietnamiens du 20ème siècle.
Diplômé de l’École des Beaux-Arts d’Hanoi en 1937, dans la 8ème promotion – avec, notamment, Tôn Thât Dao (1910-1979) et Lê Yên (1913-1975(?) -, il est un des membres actifs de la SADEAI (la Société Annamite d’Encouragement à l’Art et à l’Industrie) qui honorera ce tableau en 1936 – date de son exécution – et un des membres fondateurs du FARTA (Foyer de l’Art Annamite) avec Tô Ngoc Van (1906-1954), Tran Van Can (1910-1994), Nguyen Khang (1912-1989), Georges Khanh (1906-?), Bui Tong Vien et Le Van De (1906-1966).
Le FARTA œuvra, notamment, à l’organisation des deux « Salon Unique » à Hanoi en 1943 et 1944. Organisés pendant une période difficile ils eurent un rôle de promotion remarquable pour les peintres dont Luong Xuan Nhi. Témoignage de la réussite de l’École, au même moment, Le Pho, Mai Thu et Vu Vao Dam exposent à Alger et Oran (Algérie Française).
Cette peinture, s’insère parfaitement dans le symbolisme qui irrigue la peinture vietnamienne des années 30 : volonté d’émancipation individuelle ou élan collectif, Nation ou État ? Immédiateté ou durée ? Espoir ou déception, toute la production des élèves issus de l’École des Beaux-Arts d’Hanoi en ces années bénies pour le talent mais rudes pour les acteurs historiques (doit-on s’en étonner ?) s’inscrit dans cette problématique :
On pourrait en dater les étapes, en isoler les mutations : 1930 avec la mutinerie – nationaliste – de Yen Bay et l’insurrection – communiste – du Nghê An ; 1931 et l’Exposition Coloniale de Paris ; 1936 et l’arrivée du Front Populaire en France ; 1937 et la mort de Tardieu auquel succèdera Évariste Jonchère (1892-1956) et l’Exposition Universelle de Paris et les départs de Le Pho et Mai Thu ; 1940 et l’invasion de l’Indochine Française par l’armée nippone.
On identifiera assez vite les « subtilités » politiques du moment au Vietnam en rappelant que le premier fut assassiné par le Vietminh tandis que le second se suicida plutôt que de se rendre à une audience de la justice de Ngô Dinh Diêm. La meilleure étude sur le Tu Luc Van Doan et ses acteurs reste celle de Maurice M. Durand et Nguyen Tran-Huan « Introduction à la Littérature Vietnamienne » Paris, 1969.
Pour l’instant contentons d’esquisser ce qui fut la philosophie et l’action du mouvement qui créé en 1933 et se propageant d’abord via la littérature : la bourgeoisie snob et les mandarins bigots sont remis en cause. Les conditions sociales des classes laborieuses sont dénoncées, le retard intellectuel rural questionné.
L’art par la filiation visuelle qu’il permet oblige à la filiation historique.
C’est ainsi que l’on voit que Luong Xuan Nhi ne nous offre pas de belles élégantes en ao dai mais des « filles de la campagne » au visage grave teinté de rudesse, aux vêtements simples, aux corps noués par le rude labeur quotidien.
Ici, rien ne se veut élégance citadine ou charme féminin. Seul un bracelet (de verre, de jade…?) au poignet gauche de l’une d’elles, bien visible sur un fond de teintes claires crée une note de fragilité dans cette rudesse rurale si éloignée de la grâce simple des petits métiers de Nguyen Phan Chanh (1892-1984), même si les deux peintres usent de la même technique de la gouache et encre sur soie collée sur papier.
C’est leur union qui fait leur force, le groupe qui justifie l’individu. Elles ne se regardent pas. Mais elles sont ensemble. Les couleurs sombres, dominantes, de l’ensemble, concentrent encore plus les personnages…
Pour autant l’usage central du blanc, massif, semble apporter comme un signe de désunion : le groupe est-il solide ? N’est-il pas finalement une fausse alliance ? Ce blanc et ce bracelet qui individualisent le personnage – central – du tableau nous montrent les doutes du peintre qui ne tranche pas encore…
L’homme de 1936 n’est pas encore ce partisan actif du régime communiste qui, de 1954 à sa mort, le comblera de nominations diverses et de voyages-expositions dans les « pays frères » communistes.
Aucun script en chinois comme pourtant le peintre aimera en user plus tard (« Carillons de fin d’après-midi » et « La Famille du Pêcheur »). On notera simplement la double signature en caractères romains et en caractères chinois et le sceau rond où l’on peut déchiffrer le nom de l’artiste.
Jean-François Hubert