Le Pho : « Le bain de mer »

7 janvier 2020 Non Par Jean-François Hubert
Avec Le Pho, chez lui, rue de Vaugirard à Paris. 1996.
Avec Le Pho, chez lui, rue de Vaugirard à Paris. 1996.

L’année 2019 a vu le grand peintre Le Pho (Hadong 1907 – Paris 2000) devenir le peintre franco-vietnamien le plus cher du monde chez Christie’s à Hong Kong (Collection Tuan Pham) avec « Nue » une sublime toile de 1931 vendue près de 1,4 million de dollars.

Au-delà du chiffre, j’y vois un bel hommage à la confiance qu’il m’avait accordée au début des années 90.

Une belle rencontre, pour moi, de celles qui fondent une vie.

Nul doute que 2020 l’encensera à nouveau.
Bonne Année à tous.


« Surgis d’une seule eau
Comme une jeune fille seule
Au milieu de ses robes nues
Comme une jeune fille nue
Au milieu des mains qui la prient
Je te salue »

Paul Eluard

Réussir une révolution postule une forte dose de conviction mais aussi une séduction certaine.

Un vrai artiste est par définition un réel transgresseur : Le Pho, dans cette extraordinaire peinture nous le démontre parfaitement.

Le Pho : « Le bain de mer ». Circa 1938.
Le Pho : « Le bain de mer ». Circa 1938.

Celle-ci, unique dans son genre, explique pourquoi ce fils de mandarin (« Colonne de l’Empire », vice-roi du Tonkin) choisit d’arriver en France – alors le centre du monde des arts pour tout artiste digne de ce nom – pour y éprouver son talent.

Peindre c’est se libérer en libérant les autres.
Pour Le Pho et d’autres intellectuels de son temps la femme doit se libérer des règles contraignantes de la société confucéenne tonkinoise. C’est ce que le peintre exprime dans ce tableau où il s’affranchit des codes traditionnels.

Le peintre situe la scène en bord de mer. Plus que la nudité, c’est le déshabillement qui nous intéresse ici. Les deux femmes au premier plan qui cheminent main dans la main ont délié leurs cheveux, délaissant le chignon traditionnel. L’usuel ao dai est remplacé par des vêtements qui soulignent plus qu’ils n’habillent mais une certaine pudeur est conservée et toute pudibonderie gommée. L’une d’elles tient avec grace une huitre dans sa main gauche.

Le Pho veut-il à travers ces pécheurs d’huitres nous livrer un message subliminal ?

Une troisième femme située plus loin dans la composition, totalement nue, est assise au bord de l’eau et (re-?) fixe son chignon. Sa présence affine l’attention et recentre l’oeuvre en une scène de plage tout en illustrant une libération.

Le ciel sombre presque noir, l’eau, agitée, ajoutent à l’intensité de la scène et soulignent l’affirmation de liberté par ces trois femmes.
Le Pho nous offre ici avec son talent incomparable un prophétique mais aussi militant chef d’oeuvre dans une dimension rarement rencontrée sur soie (hauteur de 88cm).

Les tons de gouache employés ici, plus sombres que d’habitude, solennisent le message caché que l’artiste véhicule au monde.

Jean-François Hubert