Mai Thu : Deux Femmes. Patrie ou Nation ?
Lorsque Mai Thu peint cette somptueuse soie, en 1943, il réside à Macon dans le centre-est de la France.
Engagé volontaire dans l’armée française, en 1939, il a été démobilisé dans cette ville après la défaite de 1940. Il y résidera jusqu’en 1944.
Dans la France occupée, les temps sont durs, la pénurie est la règle. L’artiste subsiste en peignant essentiellement quelques portraits de personnalités locales.
Mais Mai Thu – qui vit en France depuis déjà 6 ans – revient ici à son thème favori : la femme vietnamienne. Le peintre la voit toujours comme belle, élégante, portant de discrets bijoux, vêtu de l’ao dai. Ici, elles sont deux : l’une porte un collier de perles, l’autre une torque. La porteuse du collier affirme son aspect vietnamien par le port de la coiffe traditionnelle et d’un éventail.
Elles sont assises – au milieu d’un paysage qui rappelle la moyenne région brumeuse du Tonkin – sur un fin tapis.
L’une lit un ouvrage souple, roulé, dont on peut apercevoir la dernière lettre « n » et peut-être le haut d’un « o », les deux dernières lettres de « Macon”, tandis que l’autre semble se souvenir ou imaginer. L’une lit, l’autre songe. Le présent et le passé s’entrechoquent-ils ? Où et quand ? Est-ce là le sentiment du peintre en cette année 1943 ? Se souvenir du pays natal ou mieux connaitre le pays d’accueil ?
Pour décrire ses belles « interprètes », Mai Thu emploie ici une grande sobriété de tons de gouache : blanc / crème / vert / marron s’harmonisent.
Douceur et mélancolie imprègnent cette œuvre élégante. Peindre ou aimer ? Faut-il peindre pour aimer ou aimer pour peindre ? Dans ces moments de questionnement, l’artiste se souvient-il de sa belle de Hué ?
Sait-il déjà que sa vie, désormais, se déroulera en France ?
Jean-François Hubert