Mai Thu : « Nue » ou l’acculturation réciproque
Notre tableau est une traduction (nous assumons ce terme) par Mai Thu du célèbre tableau de Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1857, exécuté en 1814 et conservé au Musée du Louvre à Paris).
Le titre donné par Ingres à son grand tableau (91x162cm), “La Grande Odalisque” doit être expliquée : en Turque “Odaik” veut dire “Femme de Chambre servant le Harem du Sultan”.
Le peintre vietnamien nous offre une double originalité par rapport à l’oeuvre de départ.
D’une part, il en modifie l’iconographie et la technique d’exécution. D’autre part, il nous apporte une autre vision de l’acculturation, thème constant depuis essentiellement le début du XXe siècle.
D’un point de vue iconographique on notera que l’éventail, les bijoux, le turban sont “vietnamisés”: le coussin, le lit, l’encensoir, la table basse, l’éventail, tous sont des objets vietnamiens. On sait que Ingres n’avait pas peur de défier les lois anatomiques pour créer son art. Dans l’œuvre d’origine, Ingres avait ajouté trois vertèbres au dos du modèle.
Mai Thu n’allonge pas ici le dos mais les jambes notamment celle de gauche. D’autre part, nous noterons que Mai Thu est plus pudique que son homologue français car il recouvre les hanches de son modèle d’une écharpe ou d’un voile. Comme chez Ingres le trait est privilégié à la couleur. Et on notera la grande différence exprimée ici entre la technique de la gouache sur soie immédiate et définitive car le médium est absorbé par la soie et le papier et la technique de l’huile sur toile qui autorise tous les repentirs.
Les modifications iconographiques et la technique différente permettent à Mai Thu de réinterpréter lui-même dans un second temps son Orient.
L’Orient onirique et idéalisé et vietnamisé et ainsi dans un hommage qui n’est pas une soumission, le peintre transcende l’exotisme : « l’exotisé » devient « l’exotiseur ».
En 1970, à Paris, Mai Thu atteint le génie de l’universel.
Jean-François Hubert