Le Pho : « Paysage du Tonkin » – 1937

9 octobre 2019 Non Par Jean-François Hubert

Le peintre Le Pho (1907-2001) est considéré à juste titre comme l’un des plus grands peintres vietnamiens du XXième siècle. Avec ses amis Mai Thu, Vu Cao Dam et Le Thi Luu, il appartient à l’école de ceux qui ont quitté le Vietnam au cours des années trente pour s’installer définitivement en France et y poursuivre leur œuvre.

Un autre courant de la peinture vietnamienne sera celui incarné par Nguyen Phan Chanh, To Ngoc Van ou Nguyen Gia Tri, parmi d’autres, ceux qui, au-delà de leurs sensibilités différentes,  sont restés “au pays“.

Le Pho, très tôt, par son charisme, son talent et sa volonté de se confronter au monde recueille encouragements, soutiens et sympathie :  diplômé de la première promotion de l’Ecole des Beaux-Arts d’Hanoi (1930), assistant de Victor Tardieu pour l’Exposition Coloniale de Paris (1931), professeur très jeune à l’École des Beaux-Arts d’Hanoi (1933-36), très actif à l’Exposition Universelle de Paris (1937), le peintre ne se contente pas d’un parcours que l’on pourrait qualifier trop rapidement « d’académique ». Ce qui chez Le Pho fonde son œuvre, c’est cette notion de sens absolu qu’il va chercher en Occident, en l’occurrence à Paris, alors la « Ville-Lumière ». Mais cette quête de sens ne peut pas se comprendre sans rappeler le profond attachement du peintre à ses racines vietnamiennes. C’est de cette confrontation positive, constructive, féconde entre l’Occident et l’Orient que naît la beauté et l’intérêt de toute l’œuvre de Le Pho. 

Le tableau que nous avons l’honneur de présenter a une magnifique provenance : il a été acheté directement au peintre, en 1937, par le résident supérieur du Tonkin, Auguste Tholance, grand amateur d’art vietnamien et ami du peintre.

Le Pho - Paysage du Tonkin - 1937
Le Pho – Paysage du Tonkin – 1937

Très peu d’huiles sur toile de Le Pho, peintes dans les années trente, sont recensées.  Encore moins dans les grands formats (la nôtre : 113 cm x 192 cm) : on peut évoquer L’Age Heureux[1] (dimensions 126cm x 177cm) situé et daté Hanoi 1930; La Maison Familiale au Tonkin[2] (dimensions 179 cms x 80 cms) situé et daté Hanoi 1930, ou encore La Femme du Mandarin[3](dimensions 81 cms x 130 cms) également daté et signé Hanoi 1930 et la grande œuvre conservée aujourd’hui dans l’ex-Maison de l’Indochine à la Cité internationale universitaire de Paris.

Ces quatre œuvres majeures ont pour caractéristiques de décrire le monde ancien que Le Pho avait laissé derrière lui : L’Ame du Vietnam s’y exprime d’une façon magnifique, qui reste temporelle. Des personnages inscrivent  l’histoire vietnamienne.

Tout au contraire dans notre tableau et c’est ce qui en fait son originalité extrême, est décrit un paysage intemporel que l’on peut situer dans la moyenne région du Tonkin, ce Vietnam du Nord dont Le Pho est bien l’enfant, ce Vietnam ancestral, celui des origines de la nation vietnamienne, où le climat peut être rude et où se sont scellés les plus grands et les plus beaux destins du Vietnam. 

Mais dans cette œuvre unique, testimoniale, quasiment messianique, Le Pho préfère nous livrer un monde fantasmagorique d’où les personnages sont absents. Le paysage est tout mystère et immanence : une évocation non une description.  Le peintre, conscient que l’année 1937 sera celle de son départ définitif de l’Asie pour l’Europe fixe son souvenir dans une atmosphère poétique qui honore les lieux,  les transcende mais ne les décrit pas.

Wally Findlay (gauche) et Le Pho (droite)
Wally Findlay (gauche) et Le Pho (droite)

Il semble que notre toile soit la dernière que Le Pho ait peinte dans le cadre de son “ premier style”.  On sait que l’on a coutume de “classer” l’œuvre de Le Pho en trois styles : d’une part, un premier style, celui des années d’Hanoi et celui de ses premières années d’installation à Paris.  D’autre part, ce que l’on a coutume d’appeler la « période Romanet » du nom de ce galeriste français qui sera un promoteur essentiel de l’œuvre de Le Pho, essentiellement des années d’après guerre à la fin des années soixante.  Enfin la période dite « Findlay « de Wally Findlay, le nom de cette galerie américaine, qui à partir de 1963 commandera au peintre un grand nombre de toiles vendues essentiellement sur le marché américain et quelque part, « formatées » pour ce marché. Cette distinction entre ces trois périodes n’est pas indifférente, car pour la première Le Pho alternera huiles sur toile (en petit nombre), laques (extrêmement rare car Le Pho, allergique à la laque, abandonnera cette technique) et les gouaches et encres sur soie qui le feront connaître. Pour la période Romanet, ce sont essentiellement des techniques mixtes sur soie alors que sa période Findlay le verra revenir à la technique de huile sur toile même si les couleurs sont très éloignées de ses œuvres initiales.

Cette extraordinaire représentation de Le Pho nous remémore Madame de Thanh-quan (19ème S.):

L’ombre du crépuscule s’étend au ciel immense;

Au loin le son d’une conque répond à l’appel d’un tambour.

Et:

Bruissante, la forêt de pins accueille les oiseaux fatigués

(traduction Lê Thanh Khoi)

Jean-François Hubert


[1] Jean-François Hubert and alii, Art of Vietnam, Parkstone, 2002 p.208

[2] Jean-François Hubert and alii, L’Ame du Vietnam, Cercle d’Art,1996 p. 59

[3] Jean-François Hubert and alii, La Fleur du Pêcher et l’Oiseau d’Azur, La Renaissance du Livre, Musée Royal de Mariemont, 2002, p. 160,