Mai Thu, « La Classe », 1955, ou un monde sans anicroches

23 septembre 2025 Non Par Jean-François Hubert

1955 est une année charnière pour Mai Thu le peintre, l’homme, le citoyen. 

L’année précédente a été féconde: le peintre a exposé une soixantaine d’œuvres à la Galerie de l’Institut à Paris, mais aussi à Mâcon et à Lyon. L’homme, qui vit à Vanves, tout près de Paris, s’est marié. Le citoyen a salué la fin de la « Guerre d’Indochine » et entériné les « Accords de Genève ». 

Installé depuis 18 ans en France, il harmonise sa vie entre ses amis (notamment Le Pho et Vu Cao Dam), ses expositions, sa musique. Sa vie privée s’enrichira encore avec la naissance de sa fille en 1956.

« La classe » évoque un enseignement de calligraphie : un maître âgé et des élèves très jeunes. Dans son œuvre Mai Thu fut souvent un thuriféraire du confucianisme. On rappellera ici que dans les années 30, Il ne s’est pas impliqué comme nombre de ses condisciples dans le Tự Lực văn đoàn et ses idées modernistes.

Mai Thu – La Classe

Le maître est assis devant sa table basse et se tient de profil par rapport à l’observateur. Sur sa table est posé un pot (lui-même posé sur un socle) contenant trois pinceaux et un bâtonnet. Il est vêtu et coiffé de façon traditionnelle.

Il enseigne à un groupe de 14 écoliers, eux aussi vêtus et coiffés à la vietnamienne. Tous ces écoliers se ressemblent apparemment d’autant plus que le peintre use de tons de gouache légers. Seules 5 chemises diffèrent.

Mais les différences apparaissent si l’on scrute leurs visages, observe leurs mains et évalue leurs postures. Les visages tous attentifs voire crispés expriment des écoliers conscients de la difficulté de leur tâche, craignant de décevoir le maître et, probablement, sa sévérité.

Des visages qui illustrent la diversité des sentiments humains, de l’interrogation à la concentration, de la dispersion à l’union.

On voit que selon leur distance au maître les écoliers s’agitent, se concentrent ou se figent comme nous le montre au premier plan le petit enfant, bras croisés ou les deux autres préparant consciencieusement le thé de leur maître.

Des objets et des sujets.

Tous dévoués au culte du savoir. On l’observe pour le maître et ses élèves. On le constate, aisément pour les livres et les pinceaux, voire la table et le pot. Plus subtilement pour le réchaud, la théière et l’éventail, la tasse et la soucoupe, tous éléments destinés à la confection du thé, stimulant du maître.

Le peintre concentre la scène: un fonds neutre, juste un lavis. Pas de décor. Un environnement quasi-minéral. 

Dur comme l’apprentissage et l’expression du savoir.

Un très beau cadre de l’artiste vient enchâsser son œuvre. Au-delà des volutes classiques, il y peint deux vases remplis de fleurs, symboles de prospérité et de chance et deux rouleaux couplés représentant traditionnellement l’un la peinture, l’autre la calligraphie insistant ainsi sur leur union matérielle et spirituelle.

En cette année 1955, Mai Thu nous propose un monde charmant où la seule tension est celle de l’effort intellectuel.

10 ans après la fin de la deuxième guerre mondiale, il exprime une sérénité discrète et tendre.

Pourtant de tous ces jeunes, combien maîtriseront la calligraphie ?

Peu importe, nous dit le maître. 

Dans un monde sans anicroches, tout se doit d’être volupté.

Jean-François Hubert