L’honneur perdu de Richard C. Paddock, journaliste au New York Times

18 avril 2025 Non Par Jean-François Hubert

La saison qui vient de s’écouler à été celle de tous les records pour la peinture vietnamienne. Au-delà des célébrations, il est intéressant de revenir sur les combats qu’il a fallu mener contre l’obscurantisme et la désinformation. Comme une anticipation de l’Amérique actuelle : ici, la manipulation en son sein d’un grand organe de presse états-unien. Un cas d’école:

Le 11 août 2017, Richard C. Paddock, un journaliste au New York Times publie un article titré « Vietnamese Art Has Never Been More Popular. But the Market is Full of Fakes ». (L’art vietnamien n’a jamais été aussi populaire. Mais le marché est plein de faux). Dans ce texte, il remet en cause l’authenticité de plusieurs œuvres exposées l’année précédente au Musée des Beaux-Arts d’Hô Chi Minh-Ville et appartenant à la collection de Vu Xuan Chung.

Or, cette enquête souffre d’un grave défaut : l’absence totale de rigueur journalistique.

Une absence de contradictoire

Malgré les nombreuses accusations me visant personnellement (18 mentions négatives et diffamantes de mon nom dans son article), Richard C. Paddock n’a jamais pris la peine de me contacter pour confronter ses affirmations à ma version des faits. Ce manque de contradictoire, qui va à l’encontre des principes de base du journalisme, entache gravement la validité de son propos. 

Un choix de source contestable

Paddock fonde une partie de son analyse sur les déclarations de Nguyen Thanh Chuong, qu’il présente comme un artiste éminent. Première bizarrerie : Nguyen Thanh Chuong n’est pas un artiste.

Sa contribution essentielle à l’histoire de l’art se résume en la confection de faux. Ses derniers – publics – ayant été réalisés pour une exposition de la Vietcombank à Hanoï en 2023.

Son témoignage ne peut donc être pris au sérieux pour juger de l’authenticité des œuvres en question.

Des allégations sans preuves et une légèreté historique

De surcroît, l’article insinue que Christie’s et Sotheby’s auraient vendu des œuvres plus tard contestées quant à leur authenticités. Quelles œuvres ? Quels experts ? Des titres ? Des noms ? Aucune information sur ces œuvres ni aucun expert en question ne sont identifiés, ce qui rend ces accusations infondées.

Juste de la désinformation malveillante et de la diffamation.

L’absence d’éléments factuels fait que ces accusations relèvent davantage du registre spéculatif que d’une investigation journalistique crédible.

Relevons avant de poursuivre, une note d’humour (involontaire) de Richard C. Paddock qui nous propose sa vision toute personnelle de l’École des Beaux-Arts d’Hanoï qui, selon lui, « synthesize European post-Impressionnist trends with classical Asian styles and subjects » (« synthétise les tendances postimpressionnistes européennes avec les styles et sujets asiatiques classiques »).

En se limitant à une telle ellipse, l’article omet la profondeur de la démarche artistique de cette école.

Les connaisseurs sont sommés de ne pas s’esclaffer et d’apprécier

Une vision du marché éloignée des réalités

Paddock avance que la prolifération de faux aurait affecté la valeur de l’art vietnamien. « Artists and dealers complain that the profiferation of fakes is dragging down the value of Vietnamese art »les artistes et les marchands se plaignent que la prolifération des contrefaçons fait baisser la valeur de l’art vietnamien »).

Quels artistes, quels marchands ? Des noms ! Toujours rien.

Cette assertion ne résiste d’ailleurs pas à une analyse économique rigoureuse. Depuis les années 1990, ce marché a connu une expansion significative, atteignant en 2023 un chiffre d’affaires annuel d’environ 60 millions de dollars.

Loin d’être en déclin – comme l’a montré la récente vente de la collection Philippe Damas -, l’art vietnamien suscite un intérêt croissant auprès des collectionneurs et investisseurs internationaux. Il est donc fallacieux d’attribuer une supposée baisse de valeur aux contrefaçons, surtout en l’absence d’indicateurs économiques fiables permettant d’établir un lien de causalité.

Pour une information sérieuse sur la constitution de ce marché, on consultera ce billet de blog que j’ai écris en 2023.

Les 17 tableaux : une authentification douteuse

« The museum quickly determined that none of the 17 paintings were created by the painters claimed by the exhibition ». (« Le musée a rapidement déterminé qu’aucun des 17 tableaux n’avait été créé par les peintres revendiqués par l’exposition »).

Faux. Le musée avait authentifié les peintures avant leur exposition. Ce qui est vrai est qu’un « aréopage » spécialement diligenté de « spécialistes », envoyés d’Hanoï, est venu donner une – nouvelle – leçon aux responsables du musée d’Hô Chi Minh-Ville.

L’ »idiot utile » Richard C. Paddock aurait dû y penser alors qu’il ne cite là encore aucun nom de ces soi-disant spécialistes. Son choix de ne pas creuser ces contradictions idéologiques limite la portée de son analyse et néglige l’historique complexe des pratiques d’authentification dans les institutions vietnamiennes.

La simple lecture d’un article pourtant antérieur au sien et parfaitement informé d’un de ses confrères du New York Times, Seth Mydans, aurait du le convaincre de l’absence d’une quelconque compétence en la matière de ces « spécialistes » expressément diligentés d’Hanoï.

Une accusation infondée

L’un des points les plus contestables de l’article concerne l’affirmation selon laquelle les 17 tableaux incriminés m’auraient appartenu avant d’être vendus à Vu Xuan Chung. 

Ces peintures ne m’ont jamais appartenu et je ne les ai – par conséquent – jamais vendues à M. Chung.

Pourquoi Richard C. Paddock n’a-t-il pas demandé des factures, des preuves de virement, des bordereaux d’exportation ou d’importation de ces tableaux ? Pourquoi ces vérifications élémentaires n’ont-elles pas été effectuées ? Un tel manquement suggère une négligence méthodologique ou une volonté de manipuler les faits.

Un témoignage… sans droit de réponse

Un autre aspect troublant de cette enquête est le traitement réservé au témoignage de Zineng Wang, alors responsable de la curation d’art d’Asie du Sud-Est chez Christie’s. Qui, comme toutes les personnes compétentes en la matière était, évidemment, « absolument convaincu que les œuvres présentées par Mr Chung étaient authentiques. et originales ».

Richard C. Paddock a livré une version fausse des échanges verbaux et écrits qu’ils eurent.

De fait dès la parution de l’article, Wang a écrit à Paddock pour qu’il rectifie ses propos, réaffirmant qu’il avait toute confiance en l’authenticité des œuvres en question. Sa demande de droit de réponse n’a jamais reçu de réponse ni du journaliste, ni du journal. Cette requête a été ignorée par le New York Times. Pourquoi une correction légitime et justifiée a-t-elle été refusée ? Cette omission délibérée ne relève-t-elle pas d’une volonté d’orienter le récit dans un sens précis ?

En voici le texte intégral

Les œuvres de To Ngoc Van et Lé Van Dé : des accusations sans fondement et des ambiguïtés historiques

L’article avance également que certaines œuvres, notamment Boats de To Ngoc Van et A Lady of Hué de Lé Van Dé, auraient des copies conservées au Musée des Beaux-Arts d’Hanoï. 

Cependant, un fait fondamental est occulté : ce musée n’a été fondé qu’en 1966, alors que l’article prétend qu’il possédait Boats dès 1965. 

De même l’acquisition par ce même musée d’un tableau de Lé Van Dé « en 1976 », 31 ans après son exécution, sans fournir aucune réelle provenance apparaît plus que douteuse.

Diệp Minh Châu, qui atteste de l’authenticité du Lé Van Dé passé en vente dans le texte ci-dessous (Traduit du vietnamien) est bien plus que « a student of the artist » (« un étudiant de l’artiste »), mais un artiste majeur au Vietnam également consacré pour son expertise.

Texte autographe de Diệp Minh Châu,

« Jai connu Lé Van Dé, qui a vécu à Hanoï pendant 5 ans. Il peignait habituellement sur de la soie de Ha Dong.

Il a probablement utilisé de la soie de Ha Dong – ce tableau est exécuté dans ce type de matériau.

Je constate que cest, à tous égards, le style de Dé ; la disposition de l’œuvre est très douce, le visage représenté semble charmant et élégant, et les mains sont gracieusement délicates.

Sa signature, son cachet carré et son inscription chinoise restent exactement les mêmes que ceux que je connaissais.

Signé, daté et situé : Hô Chi Minh 5-6-92, Diệp Minh Châu, »

Pour approfondir sur Lé Van Dé :

Œuvres « Dragon Dance » et « Poet Nguyen Du on his fishing boat » : des vérifications manquantes

Richard C. Paddock évoque ensuite deux peintures « Dragon Dance » et « Poet Nguyen Du on his fishing boat »  invendues respectivement chez Christie’s et Sotheby’s et affirme que les deux tableaux tombèrent en ma possession.

C’est un nouveau mensonge.

Toute œuvre invendue dans toutes les maisons de vente du monde est reprise par la personne qui l’a consignée. Il appartenait tout simplement à Richard C. Paddock de vérifier comment elles étaient entrées (factures, paiements) dans la collection de M. Chung.

Une presse en crise : déclin des standards journalistiques

En fin de compte, l’article de Richard C. Paddock ne repose pas sur une analyse rigoureuse et nuancée, mais sur des affirmations infondées et une présentation déséquilibrée des acteurs.

Cette fatwa numérique, nourrie d’incohérences, d’entorses à la déontologie ou de coupables oublis, m’a profondément affecté, car s’en sont suivies menaces, insultes et dénonciations, toutes anonymes.

Je pensais qu’un journaliste devait, pour exercer rigoureusement son métier, collecter et vérifier les informations, indépendamment de toute pression extérieure. Qu’il devait aussi s’interdire toute manipulation, ne pas relayer les rumeurs, éviter le sensationnalisme, les approximations et les partis pris. Et s’interdire tout lien d’intérêt avec les acteurs des secteurs sur lesquels il écrit. S’engager, aussi, à déclarer tout conflit d’intérêts.

Richard C. Paddock et le New York Times ont manqué à leur devoir de rigueur, d’équité et de transparence. Une enquête journalistique digne de ce nom doit se fonder sur des faits vérifiables, une diversité de sources et un traitement équilibré des informations. L’article publié en 2017 contrevient à ces principes en multipliant les allégations infondées, les omissions délibérées et les incohérences factuelles.

« Un homme ça s’empêche » (Albert Camus, Le Premier Homme, 1994)

Faute de quoi, Richard C. Paddock, on perd son honneur. Il en va de même pour le journalisme. Un média qui renonce à ses principes érode la confiance du public et compromet l’essence même de sa mission : informer avec justesse et probité.

Jean-François Hubert