Vu Cao Dam, 1951, « Jeune Femme à sa Coiffure » ou Anna n’est plus Anna
En 1950, Vu Cao Dam dont l’asthme s’aggravait, choisit de quitter Paris pour un endroit plus bénéfique à sa santé. Il choisit de s’installer à Béziers avec son épouse Renée, leurs enfants Yannick et Michel, sa nièce Anna et la famille de celle-ci. Il vivra là pendant deux ans et il y peindra notre « Jeune Femme à sa Coiffure ».
Le « Midi » fut une révélation pour Vu Cao Dam. La lumière et les paysages méditerranéens vont opérer chez lui une profonde transformation de sa peinture.
Jusque là les personnages peints à Paris par Vu Cao Dam montraient d’indéniables affinités avec ceux des maîtres de la période précédant la Renaissance que le peintre admirait particulièrement, principalement les Primitifs Flamands. À Béziers quoi que toujours situé dans une atmosphère vietnamienne, ses œuvres deviennent incontestablement influencés par l’Art de la Renaissance italienne mais aussi par l’œuvre de Jean Clouet. Ce sont dans les œuvres de cette période que l’on peut noter l’admiration que porte le peintre aux plus grands maîtres principalement de l’Art classique, ce qui est extrêmement rare à l’époque.
C’est sa nièce Anna qui est le modèle du peintre. Elle lui rappelait constamment son pays natal; toujours habillée du traditionnel ao dai, élégante dans les gestes, elle incarnait en elle cette grâce diffuse que l’on trouve chez les dames de la haute société vietnamienne. À travers elle, Vu Cao Dam revivait pleinement le pays de sa jeunesse (1908-1931). Sa peinture s’exprime avec un réalisme Vietnamien, s’éloignant du rêve pour devenir plus naturaliste.
Après le froid et la grisaille de Paris qui avait sérieusement compromis sa santé, Vu Cao Dam se requinque sous la chaleur et la lumière du « Midi ». Ce renouveau physique se traduit mentalement dans son art et renouvela son aspiration. Il nous faut rappeler que le Béziers de cette époque pour un homme de son âge et de sa formation était un désert culturel ou pas un seul artiste aurait pu discuter peinture avec lui. Il s’éloigne ainsi des grands courants qui ont influencé son époque et suit une voie totalement originale.
Vers 1953, il cherchera de nouveaux procédés, s’éloignant de la gouache pure et de la soie. Il adoptera de nouveaux ingrédients (blanc d’œuf, caparol et autres) sur des supports plus rigides. Le reflet du verre – recouvrant la soie via le cadre – lui posera également problème et il tentera d’y remédier avec l’aide des nouveaux ingrédients.
De rares artistes comme Derain ou Picabia sont revenus à la création figurative mais ils restent des exceptions dans une époque où la figuration semble tomber en désuétude.
En 1952, une année après notre peinture Vu Cao Dam quitte Béziers pour Vence sur la Côte d’Azur où toute une concentration de peintres – avec lesquels il aura des échanges bénéfiques – le restitueront à la peinture contemporaine.
Mais dans la grande tradition du thème de la « Jeune Femme à sa Toilette », cher à l’exigence de Degas et la sensualité de Renoir, Vu Cao Dam, lui, tout à sa discrétion et à sa délicatesse nous offre un moment de vraie intimité. Celle d’une jeune femme qui recrée sa beauté. Montrée sous un angle évitant qu’elle se sente observée (ce qui l’aurait profondément gênée), absolument pas hiératique comme dans beaucoup des représentations antérieures du peintre.
La touche noire, ténue, qui figure l’œil d’Anna fait toute la peinture. Elle introduit dans l’œuvre toute la forte personnalité de la jeune femme dont le galbe de la poitrine et le modelé charmeurs des épaules, suggérés par l’ao dai, lui donnent une sorte de sensualité virginale.
Dans cette peinture Vu Cao Dam se différencie lui-même de la tradition classique vietnamienne dans laquelle il aurait été inconcevable d’afficher une telle intimité avec sa nièce, l’intimité familiale étant aux antipodes de la tradition confucéenne des mandarins vietnamiens dont Vu Cao Dam et sa famille faisaient partie.
Alors oui, il s’agit bien d’Anna, la vietnamienne en France. Mais le style de l’artiste fait tout et Anna n’est plus Anna.
Jean-François Hubert