Vu Cao Dam, « Le départ », 1953, ou la tragédie du temps présent

3 juin 2024 Non Par Jean-François Hubert

Installé en France depuis 1931, Vu Cao Dam – qui ne revint jamais au Vietnam – fut un thuriféraire subtil de la culture vietnamienne.

La conquête de l’altérité, pierre angulaire de sa vie, s’accompagna, un temps, de la défense de l’indépendance de son pays natal, encouragée par la fascination qu’il ressentit pour Ho Chi Minh lors de la visite de ce dernier à Paris en 1946.

Pour autant, une espérance ressentie et une désillusion pressentie sous-tendent notre tableau : celles d’une déconstruction.

En cette année 1953, l’espérance que promeut l’artiste est double : celle de se renouveler à Vence après ses séjours à Paris, Vanves et Béziers. Celle de son pays natal, le Vietnam, où chacun pense qu’après 7 années de guerre douloureuse l’indépendance doit être accordée afin que les belligérants accèdent à une paix qui n’humilie personne.

Mais la désillusion, qu’il pressent déjà, suivra. Doublement, car s’il sait que son monde ancestral s’écroule, il n’est plus certain que le nouveau sera meilleur que le précédent. Avec sa passion lucide, Vu Cao Dam nous offre une œuvre nourrie d’une énergie déconstructrice.

Six personnages disposés en quatre plans différents. Dans une atmosphère quasi orageuse, deux femmes au premier plan en bas à droite, dont coiffure et robe, à l’inverse de leurs visages, ne sont pas typiquement vietnamiens, un homme, de dos, lui en costume traditionnel vietnamien, et plus loin à gauche, un cavalier et, enfin, deux individus, indifférenciés, au fond sur la droite.

Le cheval respire la force à l’inverse du modèle docile voire passif, des années précédentes.

L’arbre ne peut être rattaché à aucune espèce alors que semblent repris et sécularisés les personnages du Kim-Vân-Kiêu, Kieu et Vân en bas à droite, Kim à cheval. Tous trois ont quitté le flux narratif du classique de la littérature vietnamienne pour s’incarner dans celui de l’Histoire immédiate.

L’homme en tenue traditionnelle, tourne le dos pour saluer et encourager le cavalier qui part à la guerre (?). Ces femmes et ces hommes du passé, même s’ils sont les acteurs de cette année 1953, peuvent-ils comprendre que le combat pour l’indépendance implique une dislocation de leur monde que les vainqueurs classeront « féodal » ?

Un salut comme un adieu, un départ comme une quête, une présence comme une confusion. Tout figure dans cette œuvre servie aussi par l’utilisation novatrice du Caparol caractéristique des essais picturaux de l’artiste à Vence.

Jean-François Hubert