La peinture vietnamienne chez Christie’s, à Hong Kong, le 29 novembre dernier : un doux vent revigorant
Quatre années que je ne m’étais rendu à Hong Kong, pandémie oblige !
Ce fut l’occasion de revoir une ville que j’adore – littéralement — et que je visite régulièrement depuis… 39 ans.
Je l’ai retrouvée dynamique, toujours se renouvelant. Bouillonnante. Impressionnante.
Ambiguë aussi, en pensant à Lam Cheuk-ting, Leuk Kwok-hung ou Gwyneth Ho, parmi d’autres…
Je reste toujours époustouflé par la qualité des expositions d’avant-vente chez Christie’s : éclairage parfait, espace adéquat, calme, qualité de l’information. Tous éléments qui siéent à l’art que l’on prend le temps d’admirer. Et l’opportunité de découvrir et d’apprendre, en de nombreuses matières, facilement.
Si vous passez à Hong Kong pendant une vente, n’hésitez pas, l’accès est aisé et gratuit.
Un « must ».
La section vietnamienne de Christie’s était l’occasion – après les 5 Pham Hau de la vente Maurice Colin (1903-1995), agrémentée d’un portrait de Le Pho (total : 1 258 740 €) le 14 juin, à Paris – de tester à nouveau le marché en cette fin d’année 2023. Au delà de la vente « online » du 21 septembre 2023 qui avait totalisé 1 877 400 HKD en 4 lots dont un sublime Nguyen Gia Tri.
14 œuvres présentées, 13 vendues à l’enchère, 1 immédiatement après la vente (le lot 241 : Vu Cao Dam / L’homme au cheval). Sans inclure ce dernier, la section vietnamienne a totalisé 10 804 300 dollars de Hong Kong (HKD), soit 1 261 150 € ou 1 385 260 USD aux taux de change au jour de l’enchère.
Pour la suite du texte, il suffit de multiplier les prix en dollars de Hong Kong par 0,12 et 0,13 pour obtenir – approximativement – les valeurs des œuvres en euros et en dollars US.
Le lot 238 (Mai Thu / La coiffure), le lot 239 (Luong Xuan Nhi / Le marché aux fleurs de pêcher) et le lot 252 (Mai Thu / Mère et enfants) ont été respectivement adjugés 1 008 000 HKD, 819 000 HKD et 1 890 000 HKD. Nous ne pouvons que renvoyer à nos trois notices particulières pour mieux saisir ce qui a pleinement séduit nos acheteurs.
Le lot 240 (Vu Cao Dam / Le poète) a été vendu 378 000 HKD. Datée de 1953, l’œuvre s’insère dans le début de la période de Vence (1952-1959) de l’artiste qui témoigne de son effervescence artistique : le côtoiement de Chagall et Matisse, Dubuffet, Malaval parmi tant d’autres, l’étude renouvelée des pigments (l’artiste utilisera du Caparol, par exemple), la déconstruction des thèmes habituels sous-tendent cette œuvre forte.
Une force que l’on retrouve dans le lot 257 (Vu Cao Dam / L’homme au cheval) adjugé 151 200 HKD. Peinte vers 1955, l’œuvre est probablement la dernière gouache et encre sur soie de l’artiste qui s’orientera ensuite vers l’huile sur toile. Le cheval peint ici est le prototype du modèle qu’il peindra dorénavant. L’année précédente, le Vietnam est devenu indépendant et cette indépendance a galvanisé Vu Cao Dam, très patriote. Une nouvelle énergie qui s’empare de son œuvre et se traduit dans ce cheval. On comparera le nouveau modèle avec celui de ce tableau de 1946, par exemple.
Énergie toujours dans le lot 256 (Vu Cao Dam / Maternité) adjugé 504 000 HKD. Peinte en 1958, cette forte huile sur toile nous prouve que Vu Cao Dam avait fixé son nouveau style bien en amont de sa signature avec la Wally Findlay Gallery en 1963. On remarquera également le cadre exécuté par l’artiste avec ses motifs aux idéogrammes stylisés ou fantaisistes, selon l’humeur de l’observateur… L’année suivante, Vu Cao Dam s’installe à Saint-Paul de Vence.
Le Lot 254 (Vu Cao Dam / Buste de femme) adjugé 403 000 HKD témoigne d’un artiste (en France depuis 4 ans) qui se revendique ici asiatique, vers 1935 : pas de lettres romanisées, un cachet asiatique indéchiffrable pour pratiquement tous les observateurs usuels. Pas un anonymat mais une essentialisation – qui restera exceptionnelle – dans cette œuvre classique, s’il en est, par son sujet et sa technique.
Essentialisation inversée pour Le Pho, dans ce lot 255 (Le Pho / La femme au foulard blanc) adjugé 1 134 000 HKD. L’artiste, ici, omet les deux caractères chinois de son nom, au profit exclusif d’une graphie romanisée. Un turban blanc quasi universel, comme les vêtements, un mur, un fond, une végétation neutre, des tons sombres. Une date (ce qui est très rare chez Le Pho), « 1940 », l’année de tous les dangers et de la défaite de l’armée française (Le Pho y fut volontaire et mobilisé de septembre 1939 à juillet 1940). Le peintre n’a pas encore rencontré Matisse (il le fera en 1943) qui lui conseillera de plus colorer ses œuvres. Seule concession, le visage asiatique. On notera le cou qui s’allonge, caractéristique de l’époque.
Une très grande classe pour cette œuvre proposée sans « réserve » et qui a su conquérir son public.
Le lot 258 (Le Pho / La promenade) a été peint au début des années 50 alors que le peintre aborde une période plus difficile, mentalement et socialement : Après la guerre les conditions économiques s’étiolent en France, les amateurs se restreignent et le peintre rencontre moins son public. Ici s’illustre quasi spirituellement et graphiquement, certes temporaire, un retour au pays natal. On distingue un buffle, une femme et un enfant. Floutés, fondus dans la végétation. Deux chevelures au noir d’encre, le reste irradiant de couleur. Celle-ci l’emporte sur le trait. Matisse, rencontré en 1943, avait dit à Le Pho : « mettez plus de couleurs dans votre œuvre ». Le conseil a été suivi. Vendu 302 400 HKD.
Les lots 242 et 243, (Le Pho / Les chrysanthèmes blancs et jaunes et Le Pho / Les Tulipes) les deux peints dans les années 1970, ont été respectivement adjugés 882 000 HKD et 819 000 HKD. Chez Le Pho, on identifie toujours, au moins une citation si ce n’est un sens caché. En témoigne ici, dans « Les chrysanthèmes blancs et jaunes » la couverture de « VERVE ». Une revue particulièrement soignée, créée à Paris par l’artiste Tériade (1897-1983) et publiée de 1937 à 1960. Ici on identifie l’exemplaire numéro 3 « L’Orient » du 2e trimestre 1938 avec la couverture composée par Bonnard (reproduite ci-dessous) l’un des maîtres revendiqués (avec Matisse) par Le Pho. Cette année 1938 qui est la première année de l’installation définitive du peintre en France. Belle réminiscence…
Le lot 253 (Nam Son / L’aveugle) daté de 1938 a obtenu 119 700 HKD. Nam Son n’est évidemment pas le « co-fondateur, avec Victor Tardieu, de l’École des Beaux-Arts d’Hanoi » comme l’écrivent et le répètent, toujours en cœur, les benêts. L’affirmation est ancienne puisqu’elle date de 1937 et fut propagée en catimini page 17 de la brochure (contredisant la page 10 de la même brochure…) « Les Écoles d’Art de l’Indochine » publiée par le Gouvernement général de l’Indochine. Rien de plus qu’une mesquinerie dans l’esprit du Front Populaire et un affront à Victor Tardieu (mort le 12 juin 1937…). Bien sûr elle fut reprise au Vietnam tant il faut parfois se cantonner à une idéologie… Nam Son mérite mieux que ces manipulations malsaines. Il fut un extraordinaire pédagogue et un bon artiste, pétri de sensibilité, comme en témoigne notre œuvre puissante. Tout collectionneur de ce nom doit en porter témoignage dans sa collection.
Le lot 237 (Mai Thu / Contes et légendes) a été vendu 2 394 000 HKD. On notera les « 8 » (chiffre auspicieux) enfants et la présence d’« une » diseuse : Toutes les attitudes attentives de l’enfance y sont particulièrement bien figurées via des visages purs et vifs que seul Mai Thu sait saisir. Le paysage en fond est plus fantasmagorique qu’à l’habitude. En 1964, Mai Thu nous berce dans une douce ambiance confucianiste. La guerre du Vietnam débutera… l’année suivante.
Toutes ces œuvres furent acquises par un public qui après avoir beaucoup échangé lors de l’exposition s’est révélé enthousiaste dans la salle, sur Internet, par ordre écrit ou au téléphone dans une ambiance pétrie de sérénité.
Un doux vent revigorant. Salutaire…
Jean-François Hubert