Vu Cao Dam : « Bouddha », ou la sécularisation de l’existence
Lorsque Vu Cao Dam peint se tableau en 1954, il connaît à cette époque une « profonde mutation artistique et philosophique » (selon les propres mots de son fils Michel Vu).
Cela fait 5 ans que le peintre a quitté Paris (il vit à Vence dans le Sud de la France), qu’il voit moins ses amis vietnamiens si ce n’est pour des vacances dans le sud, mais surtout il se passionne pour la scène artistique de la Côte d’Azur particulièrement en effervescence à cette époque : Chagall, Picasso et tant d’autres abreuvent le lieu de leur talent.
Notre tableau est l’expression particulièrement réussie d’un moment charnière dans la pensée du grand peintre.
Le peintre nous offre une représentation d’une scène connue de l’histoire de Bouddha, celle ou Mara le tentateur envoie ses filles pour le charmer alors qu’il n’est encore que Gautama. Tout le monde connaît la réponse traduite dans ce geste dit « bhumiparçamudra » (Prise de la Terre à témoin).
Néanmoins – et c’est ce qui fait toute la grandeur de l’œuvre – Vu Cao Dam sécularise la scène : si les trois jeunes femmes restent séduisantes, elles portent peu d’intérêt au Bouddha et apparaissent dépitées, humaines…
La représentation de la divinité elle-même garde les canons de la représentation bouddhique (l’Asana-mudra, le double vêtement bouddhique et le trône en fleurs de lotus) mais tout ceci baigne dans une atmosphère quasi-onirique où la couleur et la composition prennent le pas sur la pure iconographie.
Les branches et feuilles de l’arbre de la bodhi, virevoltantes, en haut à droite, le confirment.
En 1954, ici, Vu Cao Dam ne nous peint pas le Bouddha d’une scène historique connue mais l’allégorie d’une délivrance arrivée. La sienne.
Jean-François Hubert