To Ngoc Van « Les désabusées ». 1932
« Voyager loin de chez moi me fait l’effet d’être une fleur qui rêve désespérément de sa floraison » : dans une inscription de sa main, le peintre nous livre ici un élément de compréhension de sa peinture.
Les deux élégantes dames, quasi prostrées, incarnent un fort désabus qui jure avec l’élégance de leurs vêtements et la richesse de leur ameublement.
De quoi s’agit-il pour l’artiste ?
D’une reconnaissance ou d’une illusion de prospection ?
En d’autres termes, nous propose-t-il la fin d’un monde ou nous en offre-t-il un nouveau ?
En 1932, To Ngoc Van, l’élève favori de Joseph Inguimberty, privilégie l’évocation sur l’affirmation.
Plus tard son style deviendra typé politiquement mais, en 1932, To Ngoc Van ne participe pas encore au mouvement révolutionnaire qu’il rejoindra en août 1945, avant de devenir le premier directeur de l’École des Beaux-Arts de la Résistance sise dans la province de Thai Nguyen. Il y retrouvera ses collègues Tran Van Can, Nguyen Khang et Nguyen Tu Nghiem, parmi d’autres.
Pour autant, on peut déjà identifier dans cette peinture les principaux thèmes de la peinture de propagande à venir. Si on est encore loin des slogans « se battre et construire », « apprendre pour vivre », l’oeuvre témoigne d’un changement de milieu plus que de thème. Le statut de la femme vietnamienne, la légitimité d’une classe élitiste, l’influence de l’Ouest, une soumission éventuelle à la Chine : tout figure dans notre peinture…
Nos dames vietnamiennes sont belles, élégantes et raffinées et unies dans le maintien. To Ngoc Van nous livre là un chef d’oeuvre subtil, d’une technique irréprochable, qui est aussi un manifeste politique. Le sujet, à travers l’évocation des soeurs Trung qui luttèrent contre la domination chinoise en 43 après JC renvoie à l’identité vietnamienne. Tout y est évoqué: le confucianisme, le nationalisme, le cosmopolitisme, le temps de l’Histoire.
Toute l’histoire de la peinture vietnamienne doit être vue au prisme de ces réponses variées, parfois contradictoires mais toujours talentueuses à des questions fondamentales et universelles.
Jean-François Hubert