Thang Tran Phenh (1895 – 1972) : l’illustrateur et le « passage du gué ».
Sont présentées ici onze aquarelles par l’artiste. Neuf conservées dans un même groupe. Deux, trouvées isolément.
La série des neuf aquarelles – chacune au même format (23,5 cm X 32,5 cm) -, unique, peut être datée des années 1930-35.
En 1931, le peintre, âgé dans son groupe de condisciples – puisqu’il atteint 36 ans alors que son co-lauréat Vu Cao Dam, par exemple a 23 ans – est diplômé de l’École des Beaux-Arts d’Hanoi (avec Tô Ngoc Van et Vu Cao Dam parmi d’autres, dans la deuxième promotion de l’École) et expose à l’Exposition Coloniale de Paris une gouache et encre sur soie (« La partie de cartes ») d’une certaine qualité sans tutoyer les sommets…
Dans notre série, l’artiste s’exprime dans un style souvent rencontré, à l’époque, de Saigon à Hanoi notamment dans la Presse. On « croque », on illustre plus qu’on ne crée…
Avant même son entrée aux « Beaux Arts », Thang Tran Phenh était connu pour ses travaux photographiques. Ici il prolonge sa pratique en usant de l’aquarelle, un medium peu utilisé par ses condisciples à l’époque, ceux-ci privilégiant l’huile sur toile, l’encre et gouache sur soie ou la laque.
Pour autant, il nous laisse un beau témoignage sur l’atmosphère du Hanoi de l’époque : le vendeur de phò, le diseur de bonne aventure (avec ses pièces), les transporteurs, les multiples vendeurs, les musiciens, les graveurs sur bois, les restaurateurs… Tout ce monde actif, qui fait la vie de la cité, près du pont Long Bien et du marché Dong Xuan.
Le « Vendeur de porc » et la « Leçon de calligraphie », du même format, mais non inclus dans la série des neuf complètent la description.
Le premier évoque à nouveau le peuple des rues et des campagnes, le second frappe par son message confucéen que vient confirmer la belle calligraphie du peintre dont la traduction est :
« La connaissance est le meilleur moyen de trouver sa place dans la société. Apprendre est ce qu’il y a de plus noble dans l’activité humaine ».
Entré peut-être trop tard, à l’âge de 31 ans, à l’École des Beaux-Arts d’Hanoi, Thang Tran Phenh n’a pas su s’imposer comme un peintre majeur. À l’école on fait l’apprentissage des techniques pas toujours du souffle que postule le grand large.
Thang Tran Phenh reste un excellent illustrateur, oui, mais pas un de ces artistes qui tutoient le divin, ceux de l’École des Beaux-Arts d’Hanoi qui surent franchir le gué, celui qui permet de franchir le fleuve, d’atteindre l’autre rive, celle du talent et quelque part de changer d’horizon. De la quinzaine de promotions, de 1930 à 1945 (j’y inclue les promotions inachevées suite au coup d’État japonais du 9 mars 1945) environ une quinzaine d’artistes sur environ 140 empruntèrent le gué, celui qui autorise la découverte.
Que celle-ci fut la France (Le Pho, Vu Cao Dam…) ou la profondeur de l’âme vietnamienne (Tô Ngoc Van, Nguyen Gia Tri…), c’est seulement la largeur du fleuve qui incombait.
Passer le gué…
Tous les anciens élèves de l’École des Beaux-Arts d’Hanoi ne l’ont pas réussi. Leurs noms sont connus des listes des élèves diplômés mais souvent aucune oeuvre n’est là pour témoigner de leur activité ; même si la sympathie rend indulgent, on constate que n’est pas maître qui veut.
Jean -François Hubert.