Mai Thu « L’Aube Nouvelle », 1974, ou la géographie ne fait plus l’histoire
La date et le titre de cette grande et inhabituelle gouache et encre sur soie doivent être explicités :
En 1974, la défaite du Sud contre le Nord semble s’inscrire irrémédiablement. L’année précédente, les « Accords de Paris » ont ratifié, de fait, un abandon militaire du Sud par les USA, tandis que l’effort des deux « grands frères communistes », l’URSS et la Chine ne fait que s’intensifier au Nord. Mai Thu, qui s’est installé en France depuis 1937 et qui n’est revenu au Vietnam – de passage vers le Japon – qu’une seule fois en 1962 se désole de la situation dans son pays natal. Il n’a jamais pris parti (publiquement) pour aucun des protagonistes du conflit mais a toujours dénoncé les horreurs de la guerre, terrible pourvoyeuse des morts les plus injustes qui soit.
Le titre de l’œuvre « L’aube nouvelle » est aussi signifiant. Bien sûr, il évoque le matin naissant lorsque le travail de la rizière reprend mais aussi, quelque part, la foi du peintre en un monde meilleur – parce que de paix – qui pourrait s’annoncer avec la fin des hostilités.
La scène se situe au Tonkin, avec, ici, un « pain de sucre » et au fond les premiers sommets de la Moyenne Région. La paysanne au premier plan avec ce qui parait-être ses enfants. La boîte, remplie de bonbons ou de graines de lotus enrobées de sucre, de fraises ou de tamarin, ces douceurs qu’on distribue pour le Têt pour lequel le petit garçon a été vêtu de sa plus belle chemise.
La scène de départ n’est pas incarnée de la même façon par les protagonistes. L’homme s’éloigne en saluant d’un sourire un peu figé le petit groupe qui semble manifestement être sa famille. Ambiguïté d’une situation… La femme, au visage un peu inquiet, n’a d’attention que pour son fils, tandis que la petite fille, elle, incarne les deux flux de l’oeuvre en saluant. L’œuvre n’est pas réaliste dans le contexte de grande pénurie et de grand danger au Nord en cette année 1974. L’artiste a figé une scène traditionnelle de sa jeunesse, scène qu’un Nguyen Phan Chanh n’aurait pas désavouée.
Le ciel, tout en haut bénéficie de pigments de gouache, plus chauds, comme un symbole d’espoir éternel.
La rareté du thème chez Mai Thu, la pudeur de son traitement, l’exceptionnel grand format (94 x 36 cm), la justesse du trait, la subtilité des tons de la gouache, la sobriété solennelle du cadre exécuté par Mai Thu lui-même, font de l’« Aube Nouvelle » une oeuvre importante dans la production de l’artiste.
Jean-François Hubert