Mai Thu, 1935, « Le retour de la cueillette », ou nul de ne peut être privé de sa nostalgie
Le 21 octobre 1930, tout juste diplômé (le 19 juin) de l’Ecole des Beaux-Arts d’Hanoi, dans la première promotion, Mai Thu est nommé professeur (stagiaire…) de dessin au collège quốc học (qui deviendra le lycée Khai Dinh en 1936) de Hué. Il y restera 7 années.
Sa mission d’enseignant n’entrave pas sa carrière de peintre : en cette année 1935 il a déjà participé, tour à tour, à l’Exposition coloniale internationale de Paris (1931), à l’Exposition internationale d’art colonial à Tripoli (1931), aux manifestations de l’AGINDO (Agence économique de l’Indochine depuis 1932), à Paris, à l’exposition d’art colonial de Naples (1932).
La date de l’œuvre revêt une particulière importance : 1935… Est-ce cette année-ci que Mai Thu tombe fou amoureux d’une de ses élèves, Phuong, et qu’il nous en suggère ici le portrait ?
Pas de visage mais un maintien, en apesanteur. D’autres portraits présumés, plus tardifs, de Phuong nous révéleront une jeune fille très belle, les yeux souvent baissés, deux petites mèches encadrant son visage et l’on peut supposer que ses cheveux sont dressés en chignon.
Ici l’artiste saisit des mains gracieuses et délicates, toutes imprégnées de l’élégance de Hué. L’une enserre le panier – qui marque son déhanchement – de fruits fraîchement cueillis tandis que l’autre, toute de coquetterie sensuelle se saisit de son chapeau conique comme pour mieux masquer son visage. Une atmosphère diaphane.
Mais est-ce vraiment Phuong ou simplement une passante croisée sur les berges de la Rivière des Parfums, qui, ignorante de ce beau jeune homme tonkinois, ne cherche qu’à se protéger du soleil pendant que l’osier du lourd panier lui taraude la main et lui heurte la hanche ?
Nous ne le saurons jamais. Ce que sait, lui Mai Thu c’est que nul ne peut être privé de sa nostalgie.
Jean-François Hubert