Vu Cao Dam, « Buste de jeune femme » (vers 1935), ou le « sens cachet » d’une œuvre
Une douce lumière irradie de cette encre et gouache sur soie (38 X 27 cm) exécutée vers 1935.
S’y distingue une belle jeune femme avec sa coiffe tonkinoise, ses vêtements classiques et modestes, un chignon et des traits du visage particulièrement doux.
Presqu’un portrait.
La femme ne nous regarde pas. Son regard, yeux mi-clos, porte sur sa gauche, au fond.
Plus méditatif qu’observateur.
Mais qui sait ?
Le fond est laissé nu. Seule tranche l’arabesque d’encre de la chevelure qui encadre le visage.
S’impose un gros cachet en bas à droite, à l’encre rouge, en écriture sigillaire chinoise, qui se lit :
放大光明
et peut se traduire par : « magnifier la lumière ».
Où l’on attendrait un nom, un surnom, une évocation poétique, dans la tradition du sceau, s’inscrit, ici, un vœu presqu’une injonction.
« Magnifier », « la lumière »
Comme si le peintre s’identifiait tout entier dans ce carré rouge ajouré.
Deux interrogations s’imposent :
Quel peut être l’état d’esprit de Vu Cao Dam autour de cette année 1935 ?
Quel est le sens de ce cachet ?
Esquissons des pistes.
Depuis son arrivée à Paris – en décembre 1931 – grâce à une bourse que lui vaut son majorat à la sortie de l’École des Beaux-Arts d’Hanoi en juin 1931 (dans la deuxième promotion), l’artiste se voue essentiellement à la sculpture. Il a voyagé à Rome en 1932 et à Londres en 1935. Tous les arts du monde le fascinent, de la Renaissance européenne à l’Egypte ancienne, de Hokusaï à la sculpture khmère, des terres cuites Tang aux sculptures du Parthénon. Mais aussi les arts d’Afrique et d’Océanie. Le tout via les livres d’art, certes, mais aussi par des visites dans les musées. Plus prosaïquement il se lie à Bao Dai qui lui propose d’en faire son sculpteur quasi-officiel (s’il retourne au Vietnam, ce qui n’arrivera pas).
Il participe aussi à nombre de Salons où ses soies sont proposées (non loin des œuvres d’Alix Aymé)… Il expose avec succès à l’AGINDO (18 rue de la Boétie à Paris), dès 1932. La manufacture de Sèvres réalise, en 1934, un tirage en biscuit d’une tête de jeune homme de sa composition, très khmérisante. Ses bustes de Colette Reynaud (la fille de Paul, alors ministre des colonies), en 1932, puis de Paul Blanchard de la Brosse, Joseph Paganin, Albert Sarraut parmi d’autres remplissent un quasi-répertoire mondain…
Il habite en cette année 1935 – alors qu’il vivait depuis son arrivée à la Cité Universitaire- au 59 boulevard Jourdan. L’année suivante, il rencontrera l’amour absolu de sa vie, Renée Appriou et déménagera avenue de Saxe, toujours à Paris.
On voit donc qu’en cette année 1935, Vu Cao Dam est reconnu, soutenu, installé. À 27 ans, excusez du peu… Mais tous les grands artistes refusent la facilité et le bien-être matériel, chez eux, multiplie l’introspection qui est le fondement de leur quête artistique.
Via ce cachet, Vu Cao Dam s’interroge-t-il à titre religieux ou à titre laïque ?
« Magnifier la lumière » est certes un des rôles impartis, dans le bouddhisme, aux bodhisattva, ces sages ayant franchi tous les degrés de la perfection sauf le dernier qui ferait d’eux un bouddha, s’ils ne décidaient de retarder ce franchissement. Ils renoncent à leur propre libération, par compassion, pour aider l’humanité.
Mais Vu Cao Dam n’est pas un religieux mais un séculier. Il n’a pas vocation à être un bodhisattva. Juste la certitude d’être un artiste.
Bien sûr, plus tard, à Vence dans la deuxième partie des années 50, il peindra des « Divinités » que l’on rencontrera encore plus souvent dans sa période Findlay comme celle-ci, peinte en 1966 et titrée au dos de sa main.
Fluides, sereines presque éthérées, aux épaules étroites : telles sont les caractéristiques de ses divinités.
Son huile sur toile (61 X 40,5 cm), située et datée Vence 1954 confirme la volonté du peintre de nous décrire un bouddha apaisé. Il n’y a pas dans son œuvre le quasi-militantisme d’un Lé Van Dé ou la fascination d’un Le Pho, eux, non pas pour le bouddhisme mais pour le catholicisme.
Non, pour Vu Cao Dam c’est bien une volonté séculière de saisir la lumière, de la sublimer. À Vence, il s’inquiétera même de l’effet du verre qui recouvrait ses peintures et en viciait la vision. Il mènera des recherches pour optimiser ses vernis.
En apposant ce cachet singulier sur son œuvre, Vu Cao Dam se définit comme un peintre du réel, mais un réel qu’il se refusera de voir, malgré la maladie, les deuils et les guerres, comme un Enfer.
Après tout il n’y a que pour les platoniciens qu’un démiurge est un dieu…
Jean-François Hubert