Les bons, les brutes et les truands ou la compromission de l’âme avec l’instinct : un point de vue sur la peinture vietnamienne en 2023
L’histoire de l’art n’est pas que l’histoire de la beauté, ce concept tellement large qu’il peut soutenir toutes les capacités de narration.
Non, l’histoire de l’art peut être aussi celle de la laideur.
Pas de l’art lui-même, dont la laideur est impossible par essence mais la laideur de l’homme, parfois, quand il côtoie l’art. L’Histoire témoigne à foison, de cet homme souillon de l’art et la peinture vietnamienne n’échappe pas à la règle.
Pour l’illustrer, 4 photographies. Elles montrent deux faussaires vietnamiens à l’œuvre avec leur faux Pham Hau (supra), près d’Hanoi, en 2022 et deux autres éléments de leur « production » (infra), un faux Alix Aymé et un autre faux Pham Hau. Quelques exemples parmi d’autres…
Ces pauvres hères ne sont que les « petites mains » d’un réseau extrêmement actif qui, à court terme – parce qu’il exploite nos faiblesses et participe d’une misère intellectuelle béante – peut détruire l’intérêt réel, patiemment suscité depuis des années, pour la peinture vietnamienne.
Celle-ci se situe à toutes les confluences des interrogations contemporaines ce qui en fait sa force mais aussi sa fragilité.
Sa force vient d’une acculturation grandiose, au 20ème siècle, entre la France et le Vietnam, dans laquelle toutes les passions et idées se sont confrontées avec une incroyable force. Cette confrontation a cassé beaucoup de codes, en a rédigé d’autres : l’État, le groupe, l’individu, la frontière, le corps, le souvenir, l’héritage et tant d’autres concepts s’y sont vu évoquer ou révoquer. Une déconstruction exigeante politiquement, bouleversante culturellement, acerbe socialement, douloureuse sentimentalement qui ne se laisse pas aborder si facilement et que la peinture vietnamienne a su traduire magistralement. La force de la passion aboutie.
Sa fragilité est liée à la remise en cause dialectique actuelle qu’elle impose. Comme l’écrit si élégamment André Comte-Sponville dans son Dictionnaire philosophique (Paris 2021, p 362) la dialectique c’est (aussi) « une logique de l’apparence (dans le meilleur des cas) ou l’apparence d’une logique (dans le pire) ». L’apparence d’une apparence donc ici et une reconstruction mentale bien plus qu’intellectuelle, en miroir. Une acuité du questionnement qu’une monétarisation récente et phénoménale – à l’aune de l’histoire de l’art – a accentué. La monétarisation est un bienfait quand elle est saine, mais dans l’art vietnamien elle s’est malencontreusement accompagnée récemment de l’arrivée de personnages peu recommandables à même de menacer l’intégrité même de la matière si on ne les stoppe pas urgemment.
Situons historiquement et géographiquement le sujet en identifiant tour à tour les bons, les brutes et les truands.
Un devoir d’inventaire…
I. Les bons. La peinture vietnamienne est le résultat d’une acculturation grandiose, au XX ème siècle entre la France et le Vietnam. Son inclusion dans l’Histoire après une longue éclipse, semble définitive
A. Une acculturation grandiose
Il est nécessaire de rappeler le sens de « acculturation » tant le concept est souvent compris à l’inverse : un « processus par lequel une personne ou un groupe assimile une culture étrangère à la sienne », selon le dictionnaire Le Robert qui nous en donne une définition claire loin des arguties ampoulées habituelles.
L’acculturation qui nous intéresse ici s’exerce au Vietnam lors de la colonisation française alors que n’existe pas localement de peinture traditionnelle. Ceci peut apparaître sidérant surtout si l’on regarde l’immensité historique de la peinture dans la Chine, voisine et matrice, mais ceci est incontestable.
L’immense mission d’enseignement artistique menée par l’administration française, locale (coloniale), mais aussi centrale (métropolitaine), fut incarnée par Victor Tardieu le fondateur – directeur de l’École des Beaux-Arts de l’Indochine à Hanoi en 1924. Lui et ses enseignants doués posent les bases de la peinture vietnamienne, au 20 ème siècle. Une création rendue possible par l’extraordinaire synergie immédiatement engendrée localement par une génération d’artistes en devenir extrêmement doués… Les techniques enseignées, toutes importées directement (huile sur toile, laque, dessin…) ou indirectement (gouache et encre sur soie) sont rapidement et magnifiquement magnifiées par une génération « gagnée » (par contraste avec la « génération perdue » d’écrivains américains évoquée par Gertrude Stein) d’artistes vietnamiens.
Ceux-ci s’imposeront progressivement grâce à un système à la fois local de promotion bien structuré impliquant les expositions de l’École, leur relais dans la presse, les associations de promotion et d’entraide (SADEAI, FARTA, Salon Unique), et international avec essentiellement l’Exposition Coloniale de 1931 (et ses prolongements à l’étranger) et l’Exposition Universelle de 1937, toutes deux, de très grande audience, à Paris où l’AGINDO s’active.
La migration, déterminante, des peintures, soit achetées à Hanoi puis rapportées par les « coloniaux », soit exposées (1931,1937, rue La Boétie pour l’Agindo) à Paris sera suivie de celle, décisive, d’artistes qui, en personne, viennent questionner la « Ville-Lumière ». Vu Cao Dam, Le Pho, Mai Thu, Le Thi Luu et quelques autres, plus tard, viennent peindre en France où ils mourront.
Ainsi juste avant la guerre, la peinture vietnamienne peut témoigner de son succès. Née au Vietnam, elle se partage ensuite entre deux rameaux : ceux qui restent au pays (la très grande majorité avec To Ngoc Van, Nguyen Phan Chanh, Luong Xuan Nhi, Tran Van Can et tant d’autres) et la poignée de ceux qui partent en France. De profonds liens bénéfiques les unissent mais leurs destinées seront différentes.
Pourtant, de part et d’autre, une longue éclipse les attend.
B. Une longue éclipse en France et au Vietnam
Celle-ci apparaît à la fois en France et au Vietnam pour des raisons différentes.
- En France : En 1945, le pays libéré est ruiné, la pénurie règne. Les galeries (souvent trop…) florissantes pendant l’Occupation s’étiolent, l’administration a d’autres priorités que l’expression artistique et la « guerre d’Indochine » va faire du Vietnam un champ politique âpre : la France qui y est hors-jeu depuis le coup de force japonais du 9 mars 1945, au-delà d’un discours feint entre réalisme et honneur, ne veut plus de ses colonies. Son souci devient de ne pas subir une nouvelle humiliation comme celle de 1940.
Pour la peinture vietnamienne, le désintérêt s’installe car la doxa veut que si l’on décolonise c’est que tout ce qui est « colonial » ne peut être talentueux. Des slogans devenus clichés qui nourrissent encore grassement les commentaires actuels…Pour les peintres les expositions se font plus rares. Professeurs ou élèves: Tardieu, mort en 1937 sombre dans l’oubli, Inguimberty, revenu en 1946, s’éloigne des rizières et peint les Calanques ou la Franche-comté, Le Pho et Vu Cao Dam vont signer avec la galerie états-unienne Wally Findlay en 1963 tandis que Mai Thu bénéficie du remarquable travail de son marchand Jean-François Apestéguy. Le Thi Luu peint peu. D’autres comme Jean Volang postulent à un style occidental.
Plus rien de la fougue d’avant-guerre.
Au Vietnam, différencions le sud et le nord.
- Au nord, après la fermeture de l’École des Beaux-Arts d’Hanoi par les Japonais, l’heure n’est plus, non plus, à l’expression artistique.
Au retour militaire et administratif, incomplet, des Français la vie artistique reprend, au ralenti. Les artistes à leur très grande majorité partent pour le maquis, en reviennent, y meurent parfois. Comme l’art aime l’ambiguïté, il nous faudrait des pages pour simplement esquisser une histoire des sensibilités de l’époque. Nguyen Gia Tri, nationaliste convaincu, menacé par les communistes s’exile à Hong Kong en 1946 pour n’en revenir qu’en 1953 pour migrer ensuite vers le sud. Pham Hau prospère et Hoang Tich Chu persiste.
L’idéologie communiste va devenir la règle et son corollaire en art, le réalisme socialiste, le principe. Il faut lire Michel Aucouturier (« Le réalisme socialiste », Paris, 1998) pour comprendre comment ce réalisme autoritaire condamne nombre d’artistes à un talent contré ou flétri, comme en témoigne l’extrême baisse de qualité des peintures de Nguyen Phan Chanh, par exemple…
- Au sud, la peinture profite de l’arrivée de peintres du Nord après 1954 et l’École des Arts appliqués de Gia Dinh va prospérer et révéler de réels talents mais là encore la guerre omniprésente puis le transfert de l’idéologie communiste du nord en 1975 vont obérer longtemps toute velléité artistique.
Mais, en France, au début des années 90 un souffle nouveau…
C. Un retour victorieux
Après un long purgatoire, l’art et la peinture vietnamienne vont retrouver progressivement leur essor. En avait témoigné « The Mr and Mrs Robert P. Piccus Collection », un splendide ensemble de céramiques vietnamiennes vendues par Christie’s à Hong Kong le 7 décembre 1984.
Ça et là quelques pièces cham, des bronzes de Dong Son, où des « Than Hoa » apparaissent en vente ou continuent de prendre la poussière dans les réserves des musées à de rares exceptions près, comme les musées anglo-saxons. L’art chinois, l’art indien, l’art khmer, l’art japonais raflent encore tous les suffrages.
Mais c’est l’année 1995 qui marque le retour en grâce: Le Bon Marché me demande d’être le Commissaire d’une exposition culturelle accompagnant une promotion des produits du Vietnam. Ce sera « Le Vietnam des Royaumes », 100 000 visiteurs enthousiastes en 5 semaines, un catalogue tiré à 5000 exemplaires, vendu en totalité. Un souffle nouveau, une fraîcheur bénéfique. Période bénie… L’année suivante toujours au Bon Marché l’exposition « L’Âme du Vietnam » conforte ce succès. Le catalogue y présente une belle sélection de peintures et sculptures vietnamiennes.
Le 17 février 1995, la première vente jamais consacrée à l’« Art du Vietnam » se tient à Drouot. Le 22 novembre 1995, « Art du Vietnam, Collection de S.A.I. le Prince Bao Long » offre aux nombreux amateurs l’esprit impérial de Hué. Les deux ventes furent des succès colossaux et j’eus ainsi l’honneur de réunir Le Pho et Bao Long. De belles conversations, toutes d’élégance. Expertiser était langoureux…
Les couvertures de catalogue représentent le plus l’œuvre la plus importante de la vacation.
Elles vont aussi apporter leur pierre à la reconstruction de l’édifice : je choisis « La Femme du Mandarin » de Le Pho pour Drouot à Paris le 16 décembre 1996, et chez Christies à Singapour le 28 mars 1999 « Les deux sœurs », toujours de Le Pho. Le premier est devenu depuis un des tableaux vietnamiens les plus courtisés au monde – mais je ne vous dirai pas où il se trouve… – tandis que le second appartient aux collections de la National Gallery de Singapour. Beau parcours… Mais la plus grande satisfaction pour moi fut le sourire heureux du peintre honoré.
Dans la foulée, je sélectionne les peintures du Vietnam pour l’exposition « Visions & enchantement, Southeast asian paintings » organisée du 8 juin au 29 août 2000 par le Singapore Art Museum et Christie’s Singapour.
Avec le Musée royal de Mariemont je suis le co-commissaire de l’exposition (qui reste encore la référence) « Arts du Vietnam la fleur du pêcher et l’oiseau d’azur » du 20 avril au 18 août 2002. Ajoutons qu’avec Christie’s de 1996 à 2002, Sotheby’s de 2003 à 2009 et à nouveau Christie’s de 2010 à aujourd’hui ce furent des milliers d’œuvres exposées, présentées et commentées et ainsi l’aide à la constitution de grandes collections. En 1989, l’Union Française des Experts et en 1997, la Compagnie Nationale des Experts créent pour moi, la qualification d’« expert en art du Vietnam ».
Publication, explication, authentification. Tout ceci fut le travail d’un groupe de passionnés et l’espace m’est malheureusement compté ici pour citer l’ensemble des acteurs de la promotion de la peinture vietnamienne.
Plus largement de 1924 à 2023, malgré une éclipse, le travail des gens de bonne volonté, de toutes origines, a porté nouveau ses fruits. La passion et le travail ont été récompensés: des bons.
Mais ne tombons pas dans l’angélisme… Il s’est aussi agi d’un combat contre le passéisme, l’entrisme, l’obscurantisme et le lucre car si les bons ont une cause, les brutes, elles, ont un but…
II. Les brutes. En France, un passéisme institutionnel, facilitateur d’entrisme. Au Vietnam, une oblitération négative qui a conduit à une absence d’expertise
A. France : du passéisme institutionnel à l’entrisme :
1. Aujourd’hui, la France reste un pays essoufflé, jamais rétabli de la saignée de 14-18, honteux des années 40-44, englué économiquement depuis le début des années 80. Cet essoufflement a engendré une inertie et facilité un entrisme « à drapeaux déployés » cher à Léon Trotski.
2. En témoigne la désastreuse exposition d’un musée public parisien en 2012 où la quasi-totalité des œuvres présentées appartenait à la « Commissaire invitée » de l’exposition et quelques unes (le reste servant d’alibi) à son adjoint d’occasion, un tailleur subitement promu grand spécialiste du sujet. Aux lourds frais du contribuable l’incroyable publicité dans tout Paris, le catalogue, les cocktails, les visites privées et autres colloques. Pour un ensemble d’œuvres souvent quelconque et un faux Victor Tardieu acheté quelques mois plus tôt en Belgique. L’argent public gaspillé pour enrichir un collectionneur privé s’auto-désignant sélectionneur de sa collection et encensant, comme le tailleur, dans un catalogue, certes médiocre, ses propres œuvres. Seul le « Journal des Arts » eut le courage de dénoncer ce scandale. C’est dire les moeurs du temps…
Quel autre pays développé que la France aurait toléré cela ? Où dans le monde trouver un tel entrisme ? Dans les pays du nord de l’Europe ou en Amérique du Nord l’ensemble des protagonistes, privés et publics auraient eu à rendre compte devant les tribunaux et les sanctions auraient été sévères.
Des moeurs de république bananière, une république des « copains et des coquins ».
L’exposition fut le parangon de l’entrisme dans ce petit monde pléthorique de cocktails, d’inaugurations, d’entités administratives inefficaces et leurs associations parasites qui polluent la vie culturelle française. On y entre même pas par effraction mais par noyautage, on y vient non pas servir mais se servir. S’y concilier « Président », « Secrétaire », « Administrateur », « Directeur exécutif » d’associations, souvent anciennes, parasites de l’État ou des collectivités publiques, occupant le plus souvent des lieux somptueux, dotés d’emplois accaparés et consolidant leur pouvoir en choisissant l’ensemble de leurs fournisseurs, de l’éditeur au publicitaire, du traiteur au voyagiste. Fantastique détournement de l’argent public, du rôle éducatif des collectivités publiques. Un abandon pur et simple à la médiocrité d’une perversité rare.
Ce désastreux état des lieux traduit certes plus un mépris de soi que de l’autre et témoigne de notre fragilité structurelle et nous promet tous les dangers.
Qu’en est-il au Vietnam ?
Malheureusement le « Đổi mới » amorcé en 1986 n’a pas changé la sensibilité du pays à sa peinture.
B. Vietnam : de l’oblitération de la peinture à l’absence d’expertise
L’ expertise en peinture, au Vietnam, aujourd’hui (si l’on excepte une poignée de collectionneurs), n’existe pas. Cela tient à une oblitération locale de la notion même de l’art qui a mené à une impossibilité de le juger et donc de l’expertiser.
Les raisons de l’oblitération :
Elles tiennent au contexte idéologique, économique, intellectuel et mental, très particulier, voire unique, du pays lié à l’histoire récente, marquée en déroulé par la colonisation française, l’idéologie communiste persistante, l’accession rapide à un haut degré de développement – certes partiel – économique et au traumatisme lié aux guerres.
Le tout a fait du Vietnam un pays aveugle de sa peinture.
Celle-ci, contrairement aux arts anciens, figés par essence, pouvant véhiculer un message politique que l’on doit contrôler. Car…
- La colonisation française a fondé la peinture vietnamienne. Admirer la peinture oblige à encenser le colonisateur.
- Le « réalisme socialiste » empêche par nature la création d’œuvres d’art.
- Le remarquable développement économique du pays amorcé au début des années 90 fait qu’aujourd’hui sur les 100 millions de vietnamiens, 5 millions disposent d’un pouvoir d’achat « occidental », et veulent acquérir des œuvres de « leur patrimoine ».
- La quasi disparition de la langue française dans le pays prive les Vietnamiens de l’accès pourtant facile et culturellement essentiel à tous les documents, commentaires et témoignages, extrêmement nombreux, en France et au Vietnam, nécessaires à la compréhension du sujet. De là, des dérives dans les commentaires locaux.
- Enfin, le terrible traumatisme lié aux guerres fait qu’en art un peintre, au Vietnam, a du longtemps être perçu plus pour ses actes « patriotiques » que pour ses représentations esthétiques.
Trois forces centrifuges (la légitimité, le dogme, la souffrance), une force centripète (l’économie) font que le rapport à la peinture, au Vietnam a été pédagogiquement négatif.
En témoigne une production « intellectuelle » écrite et orale d’une très grande médiocrité de contenus, entre effarante confusion des dates – souvent liée à la non compréhension des textes français fondateurs- et absence de réflexion sur l’origine des styles, des techniques, des mouvements, soutenue par un patriotisme cocardier compréhensible mais particulièrement nuisible en histoire de l’art.
Le meilleur résumé de cette faiblesse est le livre trilingue vietnamien-français-anglais « Les peintres de l’école supérieure des beaux-arts de l’Indochine », édité à Hanoi en 1993, rédigé par Nguyen Quang Phong avec comme « éditeur et collectionneur » Nguyen Quang Viet et « conseiller », Le Thanh Duc. Référence local obligée, c’est pourtant une délectation d’y constater qu’un sabir idéologique amphigourique peut déteindre ainsi sur une matière et offrir à ses lecteurs exactement le contraire de ce qui est nécessaire historiquement et pratiquement pour acquérir un niveau d’expertise. Nguyen Quang Phong était dans la même promotion (la 16 me, inachevée, 1942-45) aux Beaux-Arts d’Hanoi que mon ami Jean Volang. Celui-ci m’a confié que venant le visiter à Paris, Quang Phong a éclaté en sanglots en s’excusant pour ses écrits… Un minimum…
- Une presse – classée 174ème sur 180 pays pour la liberté d’expression par Reporters sans Frontières – aux ordres (un « abus de libertés démocratiques » par un journaliste lui vaut 5 années de détention), et achetable en matière d’art apporte sa dot à l’obscurantisme.
- Des écrits anglo-saxons concernant l’Indochine française, systématiquement hostiles (une diversion pour eux, peuples génocidaires des premiers habitants de leurs pays respectifs ?) soutiennent un révisionnisme ambiant, tellement rassurant.
- Une foi aveugle à la Abartchouk, ce personnage de Vassili Grossman dans son chef d’œuvre « Vie et destin », que l’on rencontre souvent chez les vieux communistes convaincus, conforte cette négligence du savoir.
Les institutions ne sont pas en reste :
Ce qui aurait dû être une référence au moins visuelle, le musée des Beaux-Arts d’Hanoi est par ses faux exposés par nécessité, par action ou par omission une source importante de désinformation artistique.
- Les galeries d’Hanoi mais surtout de Saigon apportent une note d’humour dans ce désastre mental tant leurs ventes de faux s’accompagnent de récits grand-guignolesques. Mais il est qu’à part quelques naïfs plus personne ne les fréquente.
- Les familles des peintres... comme, parmi d’autres, le fils indigne du peintre des « rues d’Hanoi » qui a à son actif des milliers de faux. Pour l’avoir personnellement vu errer, l’air hagard, pas loin du « Petit lac » à Hanoi… je lui accorderai une certaine indulgence. Là on doit évoquer une folie d’identification au père qui dépasse le cadre artistique. En revanche, rencontrer comme je l’ai fait, le beau-frère (repris de justice au Vietnam) d’un immense artiste vietnamien peintre à ses heures… et lui refuser de monter une exposition-vente des 350 œuvres de son beau-frère qui dans toute sa vie avait peint… moins de 40 œuvres est un souvenir marquant…
Bilan : au plan du récit, de l’individu, du groupe, de l’État s’est imposée au Vietnam une dislocation du concept d’authenticité qui a permis au faux d’y devenir une constante quasi obligatoire.
Pas un seul amateur de peinture ne peut y acquérir les instruments obligatoires à la constitution d’une expertise: observation, compréhension, comparaison, réflexion. Un peu comme des pianistes qui auraient toujours entendu jouer faux.
C. La sommation des vices
Au temps de la mondialisation, il était inévitable que le couple passéisme-entrisme soit abordé, quasi-absorbé par le couple oblitération-ignorance.
Cette rencontre malheureuse nous fait passer du temps des bons et des brutes à celui des truands.
III. Les truands. La soudaine et récente divagation de la peinture vietnamienne : des truqueurs qui utilisent l’entrisme pour devenir des trafiquants et des bouffons qui deviennent bourreaux
A. Au Vietnam, des truqueurs qui deviennent des trafiquants
1. Les faussaires locaux et l’insuffisance des débouchés au Vietnam
Les faussaires sont des enfants du régime communiste mais d’un régime qui ne les considère pas à un niveau suffisant pour gérer les matières importantes (administration civile et militaire, matières premières, banques…) et assumer la continuité du pays. Ces déclassés de la nomenklatura gardent le privilège insigne d’avoir leurs études (certes médiocres…) à l’étranger payées. Mais le régime n’en veut pas socialement. Ils ont donc vu récemment dans l’art un Eldorado, apparemment facile d’accès. Infatués de leur personne, ils tentent d’y acquérir un certain vernis, l’occasion de se faire connaître, bref d’exister dans un pays qui les méprise. Et de s’enrichir…
Sans connaissances, sans talent propre et sans œuvres originales, la tâche est rude…
Ils agissent essentiellement sur les réseaux sociaux – qu’ils utilisent parfaitement – où ils ont développé une stratégie d’insultes et de diffamation contre tout ce qui les gène, d’une part et d’auto-flatterie d’autre part. Un moyen pour eux, primordial, de s’extirper de la gangue sociale qui les étouffe et de combler leurs désirs financiers. Vaste programme…
Trois individus sont à la tête du réseau: Deux approvisionneurs: Ace L. le chef du réseau et Kevin V.son factotum et compagnon. Ils ne réalisent pas les faux mais les commandent (en les payant peu…) et les diffusent. T. Chuong, le troisième, un pseudo-artiste raté qui se prend pour Ta Ty… est lui à la tête de la meilleure équipe des faussaires comme ceux de notre photo.
Avec leurs comparses, notamment DV Tuan ils incarnent, dans la société communiste vietnamienne, de fait, un « lumpenproletariat » actualisé. Le terme a été défini par Karl Marx dans son « Manifeste du Parti Communiste », (1848, dans la partie I qui s’intitule Bourgeois et Prolétaires) :
« Quant au lumpenprolétariat, ce produit passif de la pourriture des couches inférieures de la vieille société, il peut se trouver, çà et là, entraîné dans le mouvement par une révolution prolétarienne ; cependant, ses conditions de vie le disposeront plutôt à se vendre à la réaction. »
Il faut juste rajouter « communiste » après « société » et remplacer « prolétarienne » par « artistique », et la logique et la description restent les mêmes.
2. « Se vendre à la réaction » : Ces recalés structurels ont vécu au Vietnam les échecs douloureux des pseudo-maisons de vente CHON et LY THI qui pourtant fortement soutenues par la presse ont du fermer et ont compris que le marché local n’offrait, à leur image, aucun sérieux: aucun acheteur pour les « croûtes » présentées, pour leurs faux ou pour eux-mêmes.
Pour écouler leurs faux le marché interne s’est donc révélé impossible alors même qu’il aurait du être idéal compte tenu des compromissions locales pour assurer le succès financier du fallacieux projet.
D’où la nécessité de trouver des débouchés… ailleurs.
B. France : l’entrisme permet le débouché
Les faussaires se sont en premier dirigé vers la France, le « pays d’origine » de la peinture vietnamienne, celui de la promotion historique, malgré une longue éclipse nous l’avons vu.
Et, ainsi, une jonction s’est opérée avec les pionniers de l’entrisme, les anciens, Loan S, NK Khoi, Alain T, Philippe T, rejoints par quelques « jeunes sympathisants » dont un, inénarrable, alterne sous plusieurs adresses sur la toile, fausse érudition et photos à la « Village People ». Pauvre Sorbonne…
Un autre, travaillant à l’Institut Géographique National à Paris dispense doctement ses ukases au titre d’une absence d’érudition rare.
L’entrisme, en France, suite à la monétarisation du marché ne se contente plus avec les énergumènes cités plus haut d’abuser de la sphère publique mais pénètre le secteur privé, encore plus lucratif. Certaines maisons de ventes en France, françaises ou étrangères vont se retrouver piégées.
Pour cela, il leur faut détruire les bons.
C. La technique généralisée : détruire le vrai pour écouler le faux
1. Ace L. Kevin V. et leurs comparses visent à éliminer tout ce qui gêne leurs projets et donc s’attaquent à la fois à ceux qui savent et aux œuvres authentiques qui sont pour eux deux obstacles majeurs qu’ils doivent détruire. Comment écouler leurs faux s’ils sont identifiés par un expert, si la comparaison avec les originaux leur est fatale ? Leurs armes sont celles des mafieux : insultes, lettres anonymes, trucage de photos, collages de celles-ci – en haute-résolution – sur des supports encadrés et mise en situation, menaces, scandales, diffamations sur leurs blogs – qui se relaient entre eux -, manipulation des réseaux sociaux où ils « dénoncent » comme faux des œuvres évidemment authentiques, achats des journalistes locaux ou manipulation de certains journalistes étrangers, avec une belle réussite en s’assurant les services d’ un nouveau Walter Duranty dont ils ont su utiliser l’appétence pour les garçonnets de Bangkok….
La liste est sans fin et imprégnée d’un racisme certain dans un esprit très proche du massacre de la Cité Héraud (Saigon 1945) et d’un ostracisme sauvage comme celui de la Réforme Agraire (au nord dans les années 50).
2. Mais vient le plus intéressant : placer les œuvres fausses
Pour la France, c’est au premier plan NK Khoi – qui fait personnellement le relais Vietnam-France – qui est à la manœuvre, Alain T restant plus dans l’influence sourde. Des vendeurs-nourrices, des prête-noms, des œuvres non dédouanées, de la fraude fiscale, du blanchiment de fraude fiscale. Le système est bien régulé mais surtout bénéficie de la passivité française. Syndrome de Stockholm ou solidarité des sans-titres ? Ah ce beau Luong Xuan Nhi « depuis toujours dans la famille, rapporté après la guerre » que j’avais personnellement vu à Saigon 4 ans avant sa vente à Paris…Et tant d’autres… faux loués ou prêtés…
Une fois infiltrés, les faux bénéficient d’une campagne de louanges par Ace L. et ses réseaux et fortement conseillés à l’achat. Les faussaires vous proposent même d’être votre intermédiaire (contre commission) pour acheter… leurs faux.
NK Khoi et Alain T. excellent à ce jeu malsain.
Ace L. et sa clique ont aussi réussi à infiltrer Hong Kong, notamment une pourtant honorable maison anglo-saxonne qui vendra, entre autres, mais à Paris… une « belle » copie de Hoang Tich Chu…
Ace L. prétend en ce moment qu’une plus grosse et excellente maison de ventes anglo-saxonne après avoir fait appel à lui en 2022 pour une exposition (où il était certes plus « coolie » que « curator ») à Saigon le sollicite pour y devenir leur représentant permanent dès ce mois d’avril 2023. Il a déjà lancé les embauches.
La phrase apocryphe mais que l’on attribue à Lénine : « Les capitalistes nous vendront la corde avec laquelle nous les pendrons » prendrait alors tous son sens car nos faussaires seraient définitivement dans la place (faux et blanchiment à tous les étages) et altèreraient grandement le marché, sans férir. Espérons que cette grande maison de vente viendra à résipiscence…
EN CONCLUSION :
Un appel à la vigilance s’impose donc parce que sont exposés là des faits publics, avérés qui vicient l’essence de la peinture vietnamienne.
Chez Christie’s, en 2022, pour l’ensemble des ventes, 35% des acheteurs étaient nouveaux et 34% parmi eux étaient des « milléniaux » (c’est à dire nés dans les années 80 et 90). Ces chiffres expriment plus qu’un enthousiasme, ils fondent une démarche.
C’est à ces nouveaux arrivants que nous nous devons d’éliminer ces nuisants qui pullulent, acteurs principaux ou complices, publics ou privés, en France et au Vietnam.
Le poète chilien Pablo Neruda avait inscrit sur le mur d’un camp de détention : « Ils peuvent bien écraser toutes les fleurs, ils n’arrêteront pas le printemps. »
Certes l’anticipation est au futur ce que le souvenir est au passé: une simple reconstruction intellectuelle, un peu mythomane, de la réalité qui est, elle, l’éternelle création. Mais nous devons croire que la vérité l’emportera si on l’arme.
L’arme en France c’est celle du droit. Impossible de contrecarrer des mentalités déficientes ancrées. Mais en revanche si les Douanes et le Fisc s’intéressaient à qui vend et qui achète, et avec qui, qui expose et où, si le GAFI (groupement d’action financière) s’impliquait plus et si l’article 324-1 à 7 de notre Code pénal était appliqué et si Interpol était sollicité l’ensemble des agents intermédiaires qui encouragent cette fraude passeraient d’une fausse inattention à une vraie circonspection… Un début…
Qu’au Vietnam moins de deux ans après son élection le président Nguyen Xuan Phuc ait démissionné le 17 janvier 2023 et que de nombreux responsables aient suivi laisse à penser que l’État vietnamien amplifie sa lutte anti-corruption et anti-blanchiment. Ce qui pourrait aider notre matière.
Chez Christie’s à Paris le 16 décembre dernier, un somptueux Pham Hau, estimé 50 000 € a été vendu 264 600 €. Pas loin de là, 2 jours plus tôt un Hoang Tich Chu de l’équipe évoquée obtenait moins de 32 000 €…
Les collectionneurs de qualité ont pu livrer leur verdict. Mais jusqu’à quand l’âme du Vietnam acceptera-t-elle de se compromettre avec l’instinct ?
Pour ma part, j’aime cette phrase: « On n’abdique pas l’honneur d’être une cible ». (F-A Charette de la Contrie (1763-1796)).
Jean-François Hubert