Retour sur un poème écrit par Nguyen Phan Chanh pour « La Marchande de Oc », 1929
La « Marchande de oc » est, sous réserve d’inventaire, la première gouache et encre sur soie exécutée par Nguyen Phan Chanh.
Elle figure sur la liste, établie par Victor Tardieu, des envois à l’Exposition Coloniale Internationale de Paris en 1931. Je l’ai redécouverte dans une collection privée en France en 1998. Elle intégrera ensuite une collection britannique amie et sera exposée au Musée royal de Mariemont, en 2002, dans l’exposition sur l’art du Vietnam « La Fleur du Pêcher et l’Oiseau d’Azur » dont je fus le co-commissaire d’exposition. Elle fut ensuite vendue chez Christie’s à Hong Kong, en 2017, dans une vente dont j’étais l’expert. C’est dire si elle et moi nous sommes côtoyés ces 24 dernières années…
Le tableau est artistiquement puissant et historiquement important, j’ai déjà eu le bonheur de le signaler.
En haut à droite, figure, écrit de la main du peintre qui, faut-il encore le rappeler était un excellent calligraphe, en chinois cursif un poème.
Accompagner son sujet d’un poème est une pratique minoritaire, dans ses œuvres autour des années 30.
Mais que nous dit ce poème ?
温柔乡里竟春深,
野味清粗子销魂。
最是娇路难尽处,
灵山何必梦中寻.
—己巳年松月梅雪主人阮潘正笔
« Le printemps pénètre un peu plus ma belle ville natale.
Simple, brute ou gibier, le goût délicieux de ces aliments persiste dans l’esprit et le palais des enfants
La route vers le confort et la sophistication est semée d’embûches.
Nul besoin de chercher un réconfort spirituel uniquement dans les rêves
Wan Panzheng, année du serpent »
Wan Panzheng est le nom prononcé en chinois de Nguyen Phan Chanh et l’année du serpent correspond, ici, à 1929.
Le peintre évoque sa « belle ville natale » à savoir Thach Ha dans la province de Ha Tinh au centre-nord du Vietnam où donc il situe la scène.
La philosophie de Nguyen Phan Chanh s’inscrit toute entière dans ce poème de 1929 : le bonheur de vivre tient en la saisie aisée du monde, simple mais merveilleux, qui nous entoure. Le oc’, cet escargot que l’on ramasse et que l’on aromatise dans un bouillon d’herbes témoigne de cette jouissance immédiate, aisée et subtile. Le rêve et l’ambition sont des leurres malsains.
Le bonheur est terrestre et immédiat.
Les poèmes, vantant la simplicité, trouvés dans ses autres œuvres et dont nous extrayons quelques fragments confirment la volonté du peintre d’afficher une adéquation entre son sujet et son texte:
« J’ai cousu mon amour dans les vêtements confectionnés pour toi » (1931, « La Couturière »)
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« La couleur du grain est jaune clair
Même les dieux sont amoureux de la pâtisserie » (1930-31 « La Pâtissière »)
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« Il est temps de préparer de nouveaux vêtements pour la venue du printemps. » (1931 « Les Teinturières »).
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« Les noix ont la couleur du vin
L’odeur merveilleuse encense l’atmosphère »
(1931 « La Vendeuse de Bétel »)
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Y compris celui-ci, plus sensuel:
« Leur élégance et leur pureté sont sans égales
Laquelle d’entre elles est la plus désirable ?
Comme la soie qu’elles cousent
Chacune est unique et belle à sa façon. »
(1930, « Les Couturières »)
Artiste magnifique, Nguyen Phan Chanh est aussi le poète de la sagesse simple.
Jean-François Hubert