Mai Thu, 1956, « Le pont » ou le bonheur du rite
Mai Thu, en fier tonkinois, nous figure au loin les montagnes de la Moyenne Région. Une tombe au fond à gauche, un Dinh à droite nous rappellent, pour l’une que nous sommes éphémères, et, pour l’autre que le sacré et le séculier sont complémentaires puisque le Dinh (la maison communale) est le lieu à la fois où l’on honore le culte du génie tutélaire et qui sert aussi d’espace public aux villageois.
Dans « Le pont », Mai Thu reprend le fond diaphane qu’il avait déjà utilisé dans des œuvres antérieures notamment dans « Au bord de l’étang », peint en 1944. Mais dans notre tableau, il use de la couleur pour distinguer les personnages qui sont en mouvement : bleu, rouge, ocre et blanc viennent subtilement s’allier pour donner à ce groupe une particulière élégance.
Ce sont des gens aisés – comme le démontrent leur habillement soigné et leur posture – qui se rendent à une cérémonie de vœux. La jeune fille porte une boîte ronde en osier emplie de papier votif et d’offrandes. Nul ne sait à quelle cérémonie le groupe est convié mais on peut supposer qu’elle participe de ces visites (tombe, Dinh, pagode, temple…) du premier jour du Têt.
La femme la plus âgée, munie d’un éventail est coiffée du « Khăn mỏ quạ » porté uniquement au nord Vietnam et particulièrement à la campagne. La plus jeune porte le « khăn vấn« , cette coiffe que les gens de Bac Ninh revendiquent comme leur création… Les personnages, deux à deux, se relient l’un à l’autre en des gestes gracieux.
Le cadre laqué et incisé, particulièrement soigné par Mai Thu témoigne d’une rare originalité : il est asymétrique, la partie haute étant plus grande que la partie basse. Cela permet de créer un effet d’optique en amplifiant la surface du ciel.
Élégance, sérénité et concentration : toute une civilisation multi-millénaire enjambe le pont de bambou.
Tout le monde de Mai Thu, aussi : le rite et la volupté.
Jean-François Hubert