Vu Cao Dam, « Jeune femme à l’éventail » – 1951
Cette suave technique mixte sur panneau marque un changement significatif dans l’œuvre de l’artiste. Exécutée à Vence en 1951 où le peintre vient de migrer après une longue résidence à Paris puis Vanves et un court passage à Béziers. À Vence, Vu Cao Dam vit dans une belle villa, « Les Eaux Claires », entourée d’un jardin planté d’orangers. Le peintre y acquiert là une nouvelle sérénité.
« Mon père engagea sa peinture dans une nouvelle expression, forte, qui reflétait ses plus fortes aspirations, il nous communiqua avec ferveur tout ce dont il rêvait pour nous à savoir une vie qui deviendrait bien meilleure » m’a raconté Michel Vu, le fils de l’artiste. Notons que Vu Cao Dam, féru (par tradition familiale) de culture chinoise, place dans les mains de cette jeune femme un éventail dont l’idéogramme chinois est homophone de « shan » (« ce qui est bon ») et symbolise le bon et disperse le diable.
Vence permit des rencontres : la villa de Matisse (« Le rêve ») était voisine tout comme la chapelle qu’il avait décorée. Chagall habitait tout près et l’atelier de Dubuffet, peu éloigné. La galerie Alphonse Chave était le lieu de tous les échanges artistiques et/ou personnels, le lieu d’une osmose artistique de celles que l’on constate sans jamais pouvoir l’identifier réellement.
Tout pour insuffler un nouveau style. Pour l’artiste les piliers fondateurs de sa vie et de son œuvre- l’enseignement de haut niveau des Beaux-Arts d’Hanoi, le long séjour à Paris, la capitale mondiale des arts, les terribles questions posées par la tragédie de la Seconde Guerre mondiale, les affres de l’indépendance vietnamienne, tout ceci se complète et se supplée pour forger un nouveau style.
Celui-ci fut aussi le fruit de l’étude des styles de Picasso, Braque, Matisse, Rouault, Chagall. Michel Vu, toujours lui m’a précisé: « Je crois que chez Vu Cao Dam, la période de Vence a été la plus intéressante car elle est le moment inspiré de la découverte, de la maturité précoce, de l’enthousiasme et de la sincérité… Dans cette période de profonde métamorphose alors que sa personnalité était déjà construite, il resta capable de préserver sa nature essentielle, de rester lui-même au moment même où le monde occidental moderne réduisait à néant tant beaucoup des consciences et des sensibilités des cultures traditionnelles ».
Ce qui frappe dans ce nouveau style c’est la concentration sur le sujet.
Bien sûr, la technique de la gouache et encre sur soie, le format (46 X 33 cms), le sujet de l’élégante tonkinoise – son chignon, ao dai, le dossier de son siège vietnamien en bois dur — sont des classiques du peintre. Les sourcils épilés, le rouge à lèvres, l’éventail harmonieusement tenu, ce charme, cette élégance si typiques de la femme vietnamienne, le sont aussi. Mais, ici ce qui marque l’œuvre et fonde la nouvelle période c’est la profondeur de l’expression du visage. On est loin de ceux, interchangeables, des œuvres antérieures : le visage est celui, déterminé, d’une femme qui, loin de subir (même si la situation peut en être gratifiante) va non plus quêter mais dominer son destin. L’artiste choisit d’illuminer ce visage — d’une lumière plutôt vive de la droite vers la gauche — qui est le cœur du tableau.
Pas de cachet, pas de signature en caractère chinois. Ceux-ci ont déjà été abandonnés pendant la guerre même si l’artiste signera certaines de ses œuvres, au dos, en caractères chinois, pendant sa période Findlay. Seules les quatre syllabes, en lettres romaines : Vu Cao Dam a choisi plus qu’un style, un destin. Et celui-ci ne s’accommode pas des particularismes surannés.
Jean-François Hubert