Alix Aymé, circa 1935 : « Le Marché » ou une reconstruction de la réalité
L’art de la laque rencontre un grand succès en France au début des années 20. Quand Jean Dunand (1877-1942), d’abord féru de dinanderie, expose un grand nombre de laques (notamment des paravents), à Paris il recueille un succès phénoménal que saluent ses collectionneurs et la presse de l’époque.
C’est en 1912 que Dunand rencontre Seizo Sugawara, un maître japonais de la laque installé en France depuis 1900. Les deux artistes vont échanger leurs secrets, ceux du travail du métal, ceux de la technique de la laque.
En 1921, pour la première fois, Dunand expose une laque de grand format. De cette date la laque s’impose comme un art moderne: elle n’est plus qu’un moyen de décoration mais au contraire s’engage dans la description spécifique de sujets.
À la fin des années 20, Joseph Inguimberty va se trouver au centre d’une révolution artistique en introduisant l’enseignement de la laque à l’École des Beaux-Arts d’Hanoi. Il fut aidé en cela par ses propres élèves, Le Pho, Tran Qang Tran, Tran Van Can ainsi que de l’artisan Dinh Van Thanh.
Alix Aymé les rejoindra en devenant professeur à l’École des Beaux-Arts, y apportant sa passion mais aussi son statut d’ancien élève de Maurice Denis. Rappelons que celui-ci fut, avec Paul Sérusier et Paul Gauguin, le fondateur des Nabis. En refusant la pure imitation dans l’art, en ayant peur ni de la couleur ni de l’exagération, en proclamant son propre symbolisme, elle s’inscrit dans l’héritage des Nabis.
Il nous faut immédiatement identifier la technique. Et c’est dans l’Illustration de 1949 qu’Alix Aymé elle-même nous en parle le mieux :
« Une si magnifique matière, une si prodigieuse merveille de perfection et d’éclat suppose, quel qu’ait été le ton des artistes qui la créèrent, une soumission patiente à ses exigences. S’il y a une technique qui exige du peintre un don de lui-même, c’est bien la laque. »
Remarquons que dans notre laque si les individus sont décrits avec une attention presque ethnographique (vêtements, coiffures, poses…) les fruits et les légumes ne le sont pas. Un choix délibéré de l’artiste pour qui la réalité ne doit être que ce que l’artiste accepte d’ observer. De la même façon la riche et profonde colorisation de l’œuvre est volontairement non réaliste. L’artiste persiste dans son refus de la réalité en utilisant une épaisse couche de laque d’or pour représenter la lumière en dehors du marché couvert.
L’artiste sait comment utiliser toutes les facettes du Rhus Succedanea harmonisant les trois rouges du cinabre, le jaune (sulfate de cadmium), un léger vert (oxyde de chrome) et le blanc (sulfate de barium). L’or appliqué en couches épaisses incisées vient compléter la gamme chromatique.
Notre laque, ce qui est très rare et précieux, est accompagnée de dessins préparatoires de l’artiste. Ceux-ci nous permettent de mieux comprendre son travail et un œil attentif pourra y identifier, avec leurs variantes, certains des éléments de notre laque.
Jean-François Hubert