Le Pho : périodes première, Romanet, Findlay
L’œuvre de Le Pho (1907-2001) peut être scindée en trois périodes, historiquement et stylistiquement bien définies : une – de la fin des années 20 à 1945 – que l’on peut qualifier de première période, une autre qui recouvre les années 1946-1962 que l’on peut qualifier de période Romanet. Enfin, la période dite Findlay qui s’étend de 1963 jusqu’à la mort du peintre en 2001.
Ces trois périodes se justifient par l’évocation d’un style bien propre à chacune.
Pour la première période nous voyons, très tôt, l’émancipation d’un peintre brillant.
Dès ses premières années à l’École des Beaux-Arts d’Hanoi, sous la supervision de Victor Tardieu (1870-1937), le créateur et directeur de l’École ce sont des œuvres sur toile très abouties (1925-30) qui rencontrent le succès auprès des collectionneurs et des institutions. Les premières gouaches et encre sur soie apparaissent vers 1929-30.
Après le premier séjour de Le Pho en Europe et notamment à Paris (1931-1932), elles deviendront la production essentielle du peintre, subtiles tant dans leur composition que dans leurs tons. Ce sont aussi quelques laques de belle facture, ambitieuses, que le peintre abandonnera rapidement car il est allergique à la laque.
Cette période d’enthousiasme, de créativité, de découverte de techniques et de pays se figera au lendemain de la guerre pour laquelle Le Pho s’est engagé dans l’armée française.
C’est tout une instabilité de l’homme et des évènements qui s’inscrit dans la période Romanet.
La technique sur soie est reprise mais les couleurs changent, l’huile progressivement vient remplacer la gouache, la soie est laissée « à cru » par endroit, un vernis recouvrant s’installe. La technique d’une gouache peinte en aplats soignés, évolue drastiquement, peu à peu. Les œuvres sont plus chargées comme si elles voulaient plus raconter que décrire.
Le peintre devient plus conflictuel : à la douceur confucéenne s’oppose désormais la rigueur du temps. Le souvenir de la guerre et de la barbarie nazie, la situation de guerre qualifiée de « coloniale « mais qui est également civile au Vietnam, la décolonisation générale et ses méandres : autant de questions qui viennent troubler le peintre désormais définitivement installé en France depuis 1937.
Romanet est le nom du galeriste français qui aidera beaucoup Le Pho en le conseillant et l’exposant pendant de nombreuses années en France métropolitaine mais aussi en dehors (notamment à Alger et Oran, en Algérie Française pendant la guerre).
C’est en 1963 que Le Pho (avec son ami Vu Cao Dam) signe un contrat de quasi-exclusivité avec la célèbre galerie nord-américaine Wally Findlay.
Celle-ci va réorienter le style du peintre en, d’une part, ne lui contestant pas son héritage et, d’autre part, en modernisant son offre.
L’héritage, fructifié, c’est le recours à des teintes éclatantes, Le Pho poursuit son travail des années antérieures qui marquaient son admiration pour Matisse. La réorientation se sera d’exiger des huiles sur toile aux forts traits de pinceau – et non plus des gouaches et encre sur soie -, de favoriser quasi-exclusivement des grands formats où la couleur est reine.
Le Pho s’exécute avec enthousiasme parce que, d’une part, il continue ses thèmes favoris de la femme vietnamienne et des bouquets de fleurs (toujours peintes, juste coupées) et, d’autre part, parce que ce contrat lui offre le grand marché américain déjà source de fantasmes chez tout artiste européen ou asiatique. La période Findlay durera moins de 30 ans jusqu’à ce que le grand peintre soit victime d’un terrible accident de la circulation (en 1990) qui l’empêchera de peindre.
Ces périodes, évidemment, empiètent les unes sur les autres. Il ne faut pas en prendre les dates comme des limites strictes mais – comme dans les frontières d’autrefois – y voir des zones d’influence. Au fil des années un peintre s’autorise des redites, des repentis, des amnésies.
Que l’on m’autorise ici deux souvenirs personnels :
Dans son appartement de la rue de Vaugirard à Paris, Le Pho à la demande de certains de ses admirateurs se laissait photographier : devant un tableau, la main droite avec un pinceau, la main gauche tenant sa palette. Moi je savais que le tableau, inachevé, restait toujours le même au fil du temps… et des photographies, car le peintre ne pouvait plus peindre depuis son accident.
D’autre part, ayant arrêté mes préférences pour chacune de ces (ses) périodes, je voulais connaître son opinion : un jour au cours de l’année 1995, je me souviens de lui avoir demandé : « Maître, dans toute votre œuvre, quelle est votre période préférée ? ».
Sans hésitation, celui-ci me répondit « ma période Findlay ».
Jean-François Hubert