Pham Hau – « Les Deux Enfants-Bouviers »
La magnifique laque que nous présentons ici nous ravit non seulement par sa beauté esthétique et la qualité de son exécution mais aussi parce qu’elle marque une étape importante dans la peinture vietnamienne du XXe siècle.
Son auteur Pham Hau (1903-1995) fut élève de l’École des Beaux-Arts d’Hanoi de 1929 à 1934 dans la quatrième promotion d’étudiants. Ces années 29-34 sont marquées par des bouleversements majeurs politiques, économiques, sociaux et culturels dans un pays où la notion de colonialisme devient un thème de combat souvent, de réflexion toujours. L’École des Beaux-Arts d’Hanoi, ses professeurs, ses élèves ses administrateurs, son public n’échappent pas à cette interrogation.
La laque est une matière enseignées (sous l’égide de Joseph Inguimberty (1896-1971) à l’École des Beaux-Arts depuis le tout début des années 30 et Pham Hau s’y révèle, historiquement après Tran Quang Tran (1900-1969) mais avant Nguyen Gia Tri (1908-1993) qui quitte l’École de 1930 à 1934.
On sait que la laque vient de l’incision d’un arbre nommé rhus succedanea. De la résine extraite on obtient essentiellement deux couleurs : le cành giàn (« aile de cancrelat ») et le đen (« noir »). Le rouge, obtenu du cinabre, offre à l’artiste une palette chromatique et l’or vient amplifier, délimiter, rehausser l’harmonie de l’œuvre. Un patient et extrêmement utile travail de ponçage – qui ne tolère aucune erreur – permet l’obtention de l’œuvre. Les techniciens de la laque nous pardonneront notre schématisation tant le procédé est complexe sans même évoquer les conditions d’humidité qu’il postule…
Les Deux Enfants-Bouviers est une œuvre remarquable sur deux plans : d’abord elle est exécutée en un seul panneau de grande dimension (80 cm x 151 cm). Ensuite parce qu’en état actuel de nos connaissances, le sujet en est unique dans l’œuvre du peintre ; un fait à vraiment noter tant dès cette époque les artistes vietnamiens ont tendance à peindre et repeindre le même sujet. Ainsi Pham Hau est l’auteur de diverses versions souvent très proches de « Paysages du Tonkin » ou de « Cerfs ». Ici, l’œuvre est unique.
Sont admirablement représentés deux enfants chacun sur un buffle. L’un joue de la flûte tandis que l’autre chemine sereinement. La scène se déroule au Tonkin. On peut supposer que Pham Hau a peint là un de ses paysages magnifiques que l’l’on trouve entre Hanoi et Hoa-Binh non loin de Dong Ngac, son village natal.
La vision fantasmagorique du paysage contraste avec la description ethnographique fidèle des deux enfants. L’exceptionnelle profondeur de l’œuvre est rendue par le peintre qui alterne admirablement les différents niveaux de paysage en passant des bambous du premier plan aux constructions discrètes du second plan pour finir dans un feu d’artifice avec au fond les collines et les « pains de sucre ». Les quelques buffles et le paysan en retrait plus éloignés nous oblige à rester pour autant dans la plaine.
Doan Phu Tu (1910-1989) aurait pu honorer ce paysage avec son poème « Couleurs du Temps » :
« Le bleu n’est pas la couleur du temps
Le mauve est la couleur du temps
Non enivrant est le parfum du temps
La lumière est le parfum du temps »
La palette chromatique de l’œuvre, où les rouges et les gris sont rehaussés par de larges applications d’or, est typique de la production picturale des années 30 et 40 et donne à l’œuvre une aura de dignité et de gravité. L’œuvre est également enrichie par le savant usage de l’aspect mat ou de l’aspect brillant, en surface, que le peintre fait parfaitement alterner.
Notre magnifique laque peut être datée d’autour 1938 considérant le fait qu’à cette époque Pham Hau signe exclusivement en idéogrammes chinois auxquels il accole un sophistiqué sceau, le tout tracé à la laque d’or. C’est plus tard que Pham Hau signera « Hau » en lettres romanisées parfois également accompagnées de son nom en chinois. Plus tard également que le décoratif, souvent sous la forme de paravent (à cause de commandes nombreuses), aura tendance à l’emporter sur l’ethnographique sublimé comme ici.
Dans cette œuvre majeure, la vie de tous les jours, difficile et répétitive, devient un instant de beauté, d’éternité.
Le peintre à rempli sa tâche.
Jean-François Hubert