Le Pho – Nativité. 1941
Ce tableau constitue un sujet unique dans l’œuvre du peintre, ce que nous a confirmé, lors d’un entretien particulier, le 14 avril 2011, Paulette Le Pho, sa veuve.
Réalisé en 1941, il est l’expression d’un artiste à son zénith : comme toujours dans ses œuvres majeures le peintre sait allier l’excellence d’une technique et la grandeur d’un thème.
Lorsque qu’il peint cette œuvre, l’artiste est en France depuis 4 ans. Il s’est engagé l’année précédente dans l’armée française pour combattre les idées de l’Allemagne nazie – le racisme, l’ostracisme, la force brute – toutes « valeurs » auxquelles Le Pho s’opposera toute sa vie. Démobilisé, la guerre ayant été perdue côté français, Le Pho s’installe à Nice dans le Sud de la France, en zone non occupée par l’armée allemande et reprend sa production picturale.
Là, en une période de chaos où règne le désarroi il se préserve dans une quiétude retrouvée, et s’approprie le thème universel de la Nativité, pour le transcender et en faire un chef-d’œuvre profondément asiatique.
Inspiré par les grands maîtres italiens et flamands communément appelés les « Primitifs » – et qu’il a eu le loisir d’observer en 1931-1932 – lors de son premier séjour en France ou lors de ses visites des grands Musées de Belgique, Hollande et Italie -, Le Pho nous livre son interprétation toute personnelle et unique d’un thème magnifiquement illustré avant lui par Fra Angelico, Piero Della Francesca mais aussi Botticelli, Hans Baldung ou encore Giotto Di Bondone, pour n’en citer que quelques uns.
Observons le tableau :
On remarque au travers de couleurs particulièrement suaves d’abord la douceur de l’enfant qui, non majestueux, est plus le fils de Marie que Jésus Christ, le fils de Dieu.
La Vierge Marie elle-même est essentiellement une mère et une mère vietnamienne comme en témoigne sa coiffe et son ao dai de soie ; seules les mains jointes et le halo autour de sa tête symbolisent l’aspect religieux. Le bœuf est toute douceur, plus attentif à mâchonner son foin qu’à réchauffer l’enfant.
Une paire de tourterelles, symbole du Saint-Esprit figure à l’arrière plan -. Le Pho avait déjà consacré à cette représentation, quatre ans plus tôt, un fort beau tableau. Un arbre en fleurs figure au loin et au premier plan s’impose une boîte sombre, coupée, sur laquelle un reflet bleu, mystérieux, vient drastiquement ponctuer la représentation entière de la scène.
Peut-on y voir un reflet d’un ciel pur, un symbole de la Grâce ?
On voit que si dans cette représentation, Le Pho est principalement influencé par ses mentors, les Primitifs (c’est en Italie en effet à partir de la fin du XIVe siècle que la Vierge est représentée à genoux dans la Nativité), l’artiste ré-interprète le mythe pour laisser transparaître ses thèmes personnels, ceux qui seront constants dans toute son œuvre : très jeune orphelin de père puis de mère, élevé essentiellement par sa tante, ayant choisi un exil glorieux certes (le peintre s’installe définitivement en France en 1937) mais tout de même une existence, de ces manques successifs se nourrit une œuvre unique. Si l’absence de l’âne et des anges étonne car ses illustres devanciers les représentaient, c’est dans l’absence de Joseph que la perte du père se fait le plus sentir. C’est dans les vêtements de la Vierge que le Vietnam garde sa place.
Le Pho n’a pas subi son destin mais lui a rendu grâce : le deuil et l’exil sont les sources essentielles d’une œuvre artistique exceptionnelle dont vient témoigner ce chef-d’œuvre de la Nativité.
Le grand poète Cao Ba Nha mort en 1862 n’est pas loin :
« L’âme nostalgique erre loin du foyer natal,
Ballottée aux crêtes et aux creux de la vie.
Sans fin se perpétue la rumeur des vagues,
Les gouttes de rosée bruissent douces et fortes ».
Jean-François Hubert