Le Pho : « Abandon » : un tournant dans l’œuvre de l’artiste
Tous les grands peintres peignent toujours le même sujet: leur rapport au monde. Chez Le Pho, celui-ci s’est beaucoup exprimé dans une représentation du couple mère-enfant.
Le mot « Abandon » a plusieurs sens dans la langue française – que maniait parfaitement le peintre et qu’il utilisait toujours pour titrer ses œuvres -. Dans son sens ici, il ne s’agit pas d’une distanciation (un des sens) mais d’un état de conscience doux voire langoureux. D’un supplément d’âme qui intervient chez Le Pho, lui orphelin si jeune, lorsque qu’il rencontre en 1945 – dans le célèbre café “À Capoulade”, dans le quartier latin à Paris- Paulette, qui deviendra son épouse.
C’est ce moment de bonheur qui inspire l’œuvre.
Ce que traduit d’abord la position de l’enfant, confiant, qui suce son pouce, blotti contre sa mère ; tous deux sont parés de leurs vêtements tonkinois. Les murs et cloisons de la maison enchâssent une exubérance de fruits (la coupe en bas à droite), de fleurs (dans le vase, et libres), de plantes, autant de dons à la mère et à l’enfant. Le tout subtilement peint dans cette palette de gouache que le peintre veut plus claire depuis sa rencontre, en 1943 avec Henri Matisse (son peintre préféré (avec Bonnard)) à Vence, non loin de Nice où vit Le Pho depuis sa démobilisation en 1940.
Le format carré de l’oeuvre, rare chez le peintre, amplifie la stabilité de la représentation.
L’orphelin n’est plus seul, la joie remplace la peine : le bonheur est dans la maison.
Manifeste d’un amoureux conquis, « Abandon » est un jalon essentiel dans l’œuvre du peintre.
Jean-François Hubert