Mai Thu, « L’heure du thé à Hué », 1937, ou le conservatoire-sanctuaire

29 janvier 2025 Non Par Jean-François Hubert

Lorsque Mai Thu peint cet exceptionnel tableau en 1937, il est déjà reconnu par ses pairs et s’est acquis un public de collectionneurs, séduits par son œuvre, notamment depuis l’Exposition Coloniale de Paris – et ses prolongements – en 1931.

Après son diplôme des Beaux-Arts d’Hanoi, en 1930, il enseigne à Hué, et cette année 1937 va être probablement la plus importante de sa vie. En effet, ce sera celle du départ pour la France où il poursuivra sa carrière avec succès.

L’histoire d’un peintre est par essence mieux connue que celle d’un homme.

Et ici dans cette grandiose mais sensible huile sur toile, le peintre vient témoigner pour l’homme, lui Mai Trung Thu.

Pour un artiste, il n’y a pas de frontière, Mai Thu le sait. Mais dans son huile sur toile, il condense toute l’humanité de son pays natal. Dont il ne s’éloignera jamais mentalement et qui fondera son œuvre dans ce qui deviendra son double outre-mer : les lettrés devisant, le thé fumant qui aide à la concentration, la pipe à eau, un livre (de poésie ?). Un enfant attentif. Une jeune femme avec un autre enfant dans les bras. Huit personnages si l’on en identifie un, ébauché en haut à droite. Une végétation abondante mais dominée. Un havre de paix. Un conservatoire, presque un sanctuaire. Hué. On ressent la douceur de la Rivière des Parfums qui doit couler paisiblement un peu plus loin.

Dans cette très grande (75,5 X 99 cm) huile sur toile, le peintre opère essentiellement avec quatre tons (vert, marron, blanc, noir) en aplats. Le noir structure l’œuvre, le vert et le blanc l’aèrent, le marron l’unifie.

Plus tard, en France, l’artiste abandonnera la technique de l’huile sur toile pour la gouache et encre sur soie jusqu’à la fin de ses jours.

L’œuvre est bien documentée.

Le docteur Lê Thai et son épouse, du Chesnay à côté de Paris (nom et adresse sont inscrits au dos de la toile) l’avaient acheté directement à Mai Thu qui leur avait affirmé alors que c’était le dernier tableau qu’il avait peint au Vietnam avant son départ pour la France.

Vendu chez Christie’s à Singapour (lot 163, 30 mars 1997) en 1997 puis chez Sotheby’s en 2008 à Hong Kong (Collection Philippe Ng, 8 avril 2008 lot 709), j’eus chaque fois, en tant qu’expert, le bonheur de l’accompagner.

L’œuvre a par ailleurs figuré, en bonne place, dans l’exposition Visions & Enchantment du Singapore Art Museum (8 juin-29 août 2000, catalogue planche 10, illustré page 83).

Aujourd’hui elle constitue un des joyaux de la Collection Philippe Damas.

Jean-François Hubert