Nguyen Phan Chanh : « Femme dans la rizière », 1936, ou la fin d’un monde.
Cette importante soie datée 1936 (« bing-zi »), et précisément inscrite « été 1936 » de la main de l’artiste, en haut à gauche, s’inscrit certes dans le style classique qu’élabore Nguyen Phan Chanh au tout début des années 30 mais nous apporte quelques nouveautés qui rehaussent son importance.
L’artiste – qui signe aussi ici « Hong nam » – ( au sud de Hong) en référence à la montagne Hong Linh (dans la province de Ha Tinh, Tonkin, son lieu de naissance) – a participé, l’année précédente, à la première exposition organisée par la SADEI (« Société d’encouragement à l’art et à l’Industrie ») à Hanoi.
En 1936, il participe à la seconde exposition de cet organisme de promotion. Il est déjà un artiste reconnu : l’Exposition Coloniale de Paris (1931) l’a fait connaître internationalement; l’Exposition Coloniale de Rome (1932) l’a confirmé et la promotion constante de l’AGINDO (Agence économique de l’Indochine, Paris) lui est bénéfique.
En 1932 la célèbre revue « L’Illustration » l’a encore mieux fait connaitre avec un élogieux article de Jean Tardieu et des reproductions soignées de ses œuvres.
Dans notre « Femme dans la rizière », Nguyen Phan Chanh s’éloigne de la colorisation qui l’avait tenté en 1933 (voir « Jeune fille au perroquet ») et en revient à son camaïeu marron des années 29-32 avec, comme pour « La sorcière » en 1931, une touche bleutée – dans notre oeuvre le tissu à la taille, le porte-encens dans « La sorcière »-.
La « femme dans la rizière » exprime parfaitement la pensée profonde de l’artiste pour qui la modestie est la vertu suprême : cette femme, Nguyen Phan Chanh nous la décrit avec, comme toujours, une précision d’ethnologue : l’imperméable roulé en feuilles de latanier, le chapeau plat d’Hanoi, les vêtements : tout ceci témoigne d’une captation du réel.
La classique construction du peintre est aisément identifiable, toute en triangle et arrondis : Les masses noires (d’encre) de la chevelure et des deux jambes du pantalon court composent le triangle. Le chapeau plat qui surplombe la coiffe et l’imperméable roulé composent les masses rondes ou ovoïdes.
Mais en cette année 1936 un grand changement intervient : les yeux du modèle ne sont plus baissés, le visage semble plus volontaire (il suffit de comparer par exemple avec « La laveuse de légumes », 1931.) : ici Nguyen Phan Chan individualise son sujet : l’individu pointe sous le modèle…
Un détail qui montre un changement de sensibilité.
Nguyen Phan Chanh nous livre là une de ses dernières œuvres majeures. Ensuite son talent – malgré quelques sursauts – s’étiolera : redites, nouvelles versions d’œuvres, réalisme socialiste, honneurs : tout cela affadira son œuvre…
L’artiste a baissé les yeux…
Jean-François Hubert