Le Pho, « La Femme aux Rosiers », circa 1940, ou l’incroyable douceur de l’être
Notre gouache et encre sur soie de belle dimension (61 x 41,2 cm) est remarquable par l’extrême douceur qui s’en dégage et par la virtuosité technique d’un peintre à son sommet.
Tout y irradie l’élégance rare dont témoignait dans tous les domaines le peintre lui-même.
Le visage tout d’abord, affichant cette affirmation attentive que la femme vietnamienne urbaine acquière au cours des années 30, dans l’esprit du Tu Luc Van Doan, mouvement émancipateur auquel participèrent bon nombre d’étudiants ou de diplômés de l’École des Beaux-Arts d’Hanoi dont Nguyen Gia Tri, Nguyen Cat Luong, l’inventeur de l’ao dai moderne et… Le Pho.
L’ao dai pourpre, les sourcils épilés, le rouge à lèvres, le discret maquillage, tous signes visibles d’émancipation du monde confucianiste chez cette jeune femme gracieuse.
Un monde que Le Pho conteste.
Pourtant issu du monde mandarinal, il sait qu’il ne peut y avoir d’ordre social et mental pour un artiste et que le désordre n’est que l’ordre sans le pouvoir. Contester la norme culturelle, prôner la confrontation, l’instabilité, le doute, le refus du dogmatisme. Tout cela avec distinction. Tels sont les éléments nécessaires à l’expression d’un talent.
Celle liberté revendiquée à Hanoi, il la trouve à Paris où il s’installe en 1937, après son premier séjour en 1931-32. C’est là qu’il peint « La Femme aux Rosiers ».
Tenant à la main le foulard dont elle libère son cou, la jeune femme s’accoude, l’air songeur à une simple barrière de bambous qui nous sépare d’elle et du rideau au fond. Le Pho la peint le corps et le visage, plus allongés, prémices stylistiques de la fin des années et du début des années 40. Le titre de l’œuvre, inscrit au dos, n’est pas indifférent : Le Pho apporte un soin particulier à la représentation de ces roses, blanches presque diaphanes, certaines épanouies et plus encore d’autres en bourgeons. Il sait que la rose blanche dans ce qui n’est encore que son pays d’adoption est symbole de pureté mais aussi de raffinement, comme cette femme.
Il est très significatif que Le Pho choisisse la rose que même le Kim Vân Kiêu de Nguyên Dû (1765-1820) et ses trois mille vers ne cite pas une fois alors qui y abondent chrysanthèmes, orchidées, lotus, tubéreuses, fleurs d’abricotier, de pêchers, de grenadiers. Choix d’un peintre qui, au nom de cette fleur importée au Vietnam à l’époque coloniale élit une nouvelle patrie et se souvient de Stefan Lochner (vers 1410-1451) dont il a admiré la « Madone au Buisson de Roses » au musée Wallraf-Richartz de Cologne en 1932.
Une barrière rustique, une fleur subtile, comme un socle pour cette femme à la modernité assumée, belle de ses contrastes. Tous les thèmes de Le Pho figurent dans ce subtil tableau magnifiquement servis par le choix par l’artiste de pigments de gouache aux tons plus pastel que d’habitude. Ils donnent à cette œuvre exceptionnelle son atmosphère éthérée et ce visage et ces mains de femme en glacis très rares dans l’œuvre du peintre.
Une incroyable douceur de l’être à laquelle le peintre rendra hommage, inlassablement toute sa vie.
Jean-François Hubert