« Le Retour du Marché », 1933, « Les Trois Femmes », 1934, et «L’Heure du Thé à Hué », 1937, par Joseph Inguimberty, Nguyen Gia Tri et Mai Trung Thu, ou la cristallisation souveraine du désir
Trois artistes aux projets et techniques différents se retrouvent historiquement pour réaliser trois icônes de la peinture vietnamienne
Inguimberty ou le désir de témoigner d’un monde qui s’efface

Joseph Inguimberty, utilise une riche palette où le blanc et le vert prédominent. Il procède en « aplats » et « matière », traitant le volume par plages de couleurs juxtaposées. L’artiste a essentiellement recours à la brosse et au couteau à peindre en des gestes généreux qui créent une impression de vibrations de l’espace. Il «éclaire» ainsi ses personnages principaux, les découpant avec une grande fermeté au sein d’une végétation luxuriante.
Palanche, habits, chapeaux, végétation, lumière, chien, gestes : tout est parfaitement décrit chez Inguimberty qui ne cède en rien à la décoration mais agit en observateur auquel n’échappe pas, par exemple, le détail des dents laquées de la jeune femme à droite.
Ce monde rural, dur mais pur et qui ne manque pas d’élégance le fascine même s’il pressent sa disparition et sa peinture se veut hommage.
Nguyen Gia Tri ou le désir de créer un autre monde

Nguyen Gia Tri, lui, use de son pinceau en masses colorées – mais avec une palette plus restreinte que son maître Inguimberty – et en couches très épaisses. Une exécution tourmentée mais contenue. Sont symbolisés mais aussi allusivement caractérisés et magnifiés, de gauche à droite, le Tonkin, fier et posé, l’Annam, austère mais attentive et la Cochinchine, immature et imprévisible tels que les conçoit le très impliqué militant nationaliste tonkinois qui milite avec courage et passion pour la réunification des trois et l’indépendance du tout.
Un autre monde à créer.
Un meuble, plus socle que support, concentre le trio au premier plan alors qu’au fond, autre message, un horizon diffus centre la scène.
Mai Trung Thu ou le désir d’honorer un monde qu’il quitte

Dans cette première moitié de l’année 1937, Mai Thu pressent qu’il va quitter un confort social assuré pour une France tumultueuse dont pourtant il rêve.
Ce qui sera son dernier tableau peint au Vietnam nous offre des lettrés devisant, le thé fumant qui aide à la concentration, la pipe à eau, un briquet non loin, un livre (de poésie ?). Un enfant attentif. Une jeune femme avec un autre enfant dans les bras. Huit personnages – si l’on en identifie un, ébauché en haut à droite -. Une végétation abondante mais dominée par l’homme. Un havre de paix, un conservatoire, presque un sanctuaire.
Hué. On ressent la douceur de la Rivière des Parfums qui doit couler paisiblement un peu plus loin.
Un monde qu’il quitte.
Mai Thu opère essentiellement avec quatre tons (vert, marron, blanc, noir) en aplats. Le noir structure l’œuvre, le vert et le blanc l’aèrent, le marron l’unifie. Le trait peu épais anticipe la technique de la gouache et encre sur soie que le peintre privilégiera par la suite.
La même quête de sens, des provenances prestigieuses et un attrait remarqué.
Nos trois tableaux sont des œuvres de signification fondées sur une cristallisation souveraine.
Les 3 artistes utilisent l’huile sur toile, habituelle chez Inguimberty mais exceptionnelle chez Nguyen Gia Tri qui privilégiera la laque alors que Mai Trung Thu privilégiera la gouache et encre sur soie plus tard.
L’huile sur toile , médium classique et solennel, marque le sérieux de la quête, comme une officialisation artistique.
Une solennité renforcée par les très grands formats, inusuels, choisis par les artistes.
La provenance remarquable et l’exposition prestigieuse de ces œuvres confirment l’attrait qu’elles ont su inspirer et garder dès leur création.
Jean-François Hubert