Truong Bé, 2006 – 2009 ou le langage sans mots, perclus de sons

19 juillet 2024 Non Par Jean-François Hubert

Né dans le Quang Tri, Truong Bé intègre en 1962 un programme intermédiaire d’enseignement des Beaux-arts dont il sort diplômé 3 ans plus tard. Il enseigne ensuite au sein de l’école Nguyễn Văn Bé, située à Guilin, en Chine, et réservée aux étudiants du Sud-Vietnam de 1966 à 1969. Il revient à Hanoi pour réussir le concours des Beaux-arts d’Hanoi en juillet 1969. En octobre 1972, jeune marié trentenaire, il est mobilisé pour le « champ de bataille B « (ie le Sud-Vietnam) laissant sa femme et sa famille à Haiphong.

Après avoir suivi un entraînement militaire à l’école « 105 Hoa Binh », dès novembre, il part en convoi pour le Quang Binh et le Quang Tri, les deux régions martyres de la deuxième guerre d’Indochine.

Au début de l’année 1973, il est affecté au département de la culture et de l’information du Quang Tri avec comme mission prioritaire, la peinture de propagande et notamment de grandes affiches (4x3m) destinées à exhorter au combat. Il sera diplômé des « Beaux-Arts d’Hanoi » en 1974, avec comme maître principal Luong Xuan Nhi.

Dans cette laque, unique, Truong Bé reprend les principes de ses compositions abstraites : une abondance d’entrelacs et de circonvolutions noir ou or, l’utilisation de la coquille d’œuf sur un fond rouge cinabre. Mais au sein de ce foisonnement de rouge et d’or, avec la laque gaufrée par endroits, l’artiste abandonne l’abstraction pour nous plonger dans ce qu’il a donc vécu comme acteur : la guerre, côté Nord. Ce sont des bodois chargés, des camions, des tanks, des munitions, des ravines et des montagnes. Il n’y a pas de combat, d’héroïsme épique, mais tous partent à la mort. Une procession laïque.

Truong Bé transfigure le sacrifice, pas la guerre. Lui, l’acteur-spectateur direct de celle-ci, il se refuse à la décrire sur un plan réaliste.

Oui, sont présents bodoïs, camions, montagnes, routes et chars. Mais eux-mêmes ne sont pas réels : si l’armée nord-vietnamienne a essentiellement utilisé des chars soviétiques T-54 ou leur « copie » chinoise le Type 59 ainsi que quelques T-55, le blindé que Truong Bé représente est comme une citation tronquée de ce T-55, s’en rapprochant en raison essentiellement du tourelleau. Lui, le témoin direct, légitime, nous signifie que pour un artiste la réalité n’a pas de signification.

Truong Bé utilise un langage sans mots, perclus de sons, une vision sans images mais éclatante de couleurs.

Jean-François Hubert