Vu Cao Dam – Tête de jeune femme, 1946 ou l’incarnation contre l’atténuation
Cette somptueuse tête, haute de 26 cm avec sa base, d’une élégance rare, est modelée – et non moulée -. Exemplaire unique, elle conserve en son creux les empreintes de l’artiste qui, patiemment, l’a créée.
Elle est munie de son socle cubique d’origine en bois, confectionné par l’artiste lui-même. Une vis sommaire, d’origine, qui témoigne, à elle seule, des moments de pénurie d’après-guerre en France, unit socle et tête.
Vu Cao Dam, le hanoien, a vécu 15 ans, à Paris avant d’emménager à Vanves, une commune limitrophe, où cette tête a été sculptée. Le peintre, son épouse Renée et leurs enfants Yannick et Michel y sont réunis après les privations de la guerre, et l’artiste, plus serein consacre la belle lumière de l’appartement à son art.
Son fils, Michel, dans une communication privée (19-20/10/2022) nous a aimablement livré son commentaire:
« Cette tête me semble plus « incarnée « , plus pleine que celles très idéalisées des années 30 ou même du début 40. »
De fait, Vu Cao Dam, profitant de la plus grande plasticité de la terre et choisissant de moins s’en tenir aux masses s’éloigne ici de son style antérieur dont témoigne cette tête exécutée en 1930 et exposée à l’Exposition Coloniale de Paris en 1931:
Notre tête, elle, à l’incarnation beaucoup plus nette, témoigne d’un style différent.
Solliciter la matière comme soutien du souvenir.
Incarner, pour atténuer l’oubli qui s’installe progressivement et pour raviver le souvenir d’un visage qui s’étiole.
Vu Cao Dam opère par modelage mais aussi par incisions et striations qui nous offrent ces yeux, doux, qui ne sont plus clos, ce sourire esquissé, tout en charme, ces nez fin, bouche entr’ouverte et cou longiligne. Cette femme séduisante, Vu Cao Dam la construit avec ses mains nues parfois aidé de spatules en bois dont certaines munies d’une extrémité en fil de fer.
« Il lui arrivait d’utiliser sa salive pour faire adhérer les petites boulettes d’argile qu’il ajoutait en m’expliquant qu’il fallait bien faire attention qu’il n’y ait pas de bulles d’air » nous précise encore Michel Vu. Un barbotinage unusuel certes mais qui traduit la passion de l’artiste…
Après son départ pour Béziers en 1949 puis à Vence en 1952, avant de s’installer définitivement à Saint-Paul de Vence en 1959, Vu Cao Dam se remettra à la sculpture. Il exécutera notamment, en 1956, « Deux jeunes filles », en bronze, dans un tirage de 6 exemplaires, dans un style encore différent.
Mon père disait souvent à ses visiteurs de « Saint-Paul », se souvient Michel Vu, « Je retournerai à la terre », ce qui faisait sourire ses interlocuteurs.
Mais cette tête sublime nous fait mieux comprendre son envie.
Jean-François Hubert