Lé Van Dé, 1942, « La Femme à la Colombe », ou la déconstruction source de désillusion
Lé Van Dé naît le 28 août 1906 à Mo Cay à côté de Ben Tré au sud du Vietnam. Il intègre l’École des Beaux-Arts d’Hanoi – les « nordistes » y sont majoritaires… – en 1925. Il en sort diplômé en 1930, dans la première promotion, comme ses condisciples Le Pho, Mai Thu, Nguyen Phan Chanh, Georges Khanh et Cong Van Chung. Des 8 ayant réussi le concours d’entrée, Nguyen Tuong Lan, le futur « Nhat Lin « et Le Ang Phan abandonneront en cours de scolarité.
Notre peintre participe à l’Exposition Coloniale de Paris en 1931.
Dans son « Rapport concernant la participation de l’École des Beaux-Arts de l’Indochine à l’Exposition Coloniale Internationale de Paris », Victor Tardieu précise l’apport de Lé Van Dé : deux huiles sur toile, « Le Fleuve Rouge à Hanoi » et « Barques sur le Fleuve Rouge » ; un kakémono, « La Moisson » et un aménagement :
« La plus grande partie du salon de la laque principalement les 3 panneaux principaux composés et exécutés par les élèves LE PHO, LE VAN DE, THANG TRAN PHENH (…) l’entrée extérieure du salon de la laque bas-relief en staff(e) par LE VAN DE » (nous avons conservé la graphie de Victor Tardieu) :
Polyvalence de l’École et de l’artiste : le jeune Lé Van Dé, peintre sur toile, graveur sur bois, laqueur et mouleur…
L’année 1930 l’avait vu bénéficier d’une bourse de la « Société d’Amélioration Intellectuelle et Physique des Indigènes de Cochinchine », – association sudiste de bienfaisance – pour les Beaux-Arts de Paris où il sera l’élève de Jean-Pierre Laurens (1875-1932). Celui-ci avait accueilli deux ans auparavant Fang Ganmin (1906-1984) qui retourné en Chine deviendra un professeur influent (notamment de Zao Wou-Ki, Chu Teh Chun et Wu Guanzhong). C’est à Paris que Fang tombe amoureux de Sue Ailan (1905-1985) qu’il rencontre aux Beaux-Arts dans l’atelier Humbert (seul habilité à recevoir des élèves-femmes…) et qu’il épousera à son retour en Chine.
Lé Van Dé se fait remarquer en 1932 et 1933 au Salon Officiel des Artistes Français (Paris) en obtenant une « mention honorable ». En 1934, l’État français lui achète une grande toile (179 X 225 cm) « L’intérieur familial au Tonkin » qu’il exposait à l’Exposition internationale d’art colonial de Naples :
Rome et Athènes l’avaient sollicité avec une bourse (de 6 mois) gouvernementale française. L’Italie le conquiert : en 1936 au Vatican il est en charge de la décoration des salles d’Asie et d’Australie de l’Exposition Internationale de la Presse Catholique. Son inclusion de la Vierge à l’Enfant – sur un lotus… – devant le temple d’Angkor – interpelle.
Cette même année il est baptisé à Rome par – celui dont il choisit le prénom de baptême « Celso » (il devient Celso-Léon-Francesco d’où le C-L-F de sa nouvelle signature) – Monseigneur Celso Constantini (1876-1958) qui deviendra cardinal (en 1953) et consacrera une grande partie de sa vie au renforcement du catholicisme chinois.
Il retourne au Vietnam début 1939 en tant que « chargé de mission » du gouvernement français. Le discours de M. Nguyen Khac Nuong lors de la réception de Lé Van Dé, le 27 mars 1939 à la S.A.M.I.P.I.C nous livre un résumé complet de sa vie jusqu’alors. Ajoutons, qu’il fut un des fondateurs (et président) du FARTA (Foyer de l’Art Annamite) en 1942 avec To Ngoc Van, Tran Van Can, Luong Xuan Nhi, Nguyen Khang et Georges Khanh. Le FARTA s’inspirait de l’AFIMA (« Hoi Khai Tri Tien Duc ») fondé par Pham Quynh en 1919. Son influence reste à démontrer mais retenons en l’emblème du toit figuré au-dessus des lettres FARTA voulant figurer la maison autonome (enfin…) où les artistes pouvaient exposer leurs œuvres et confronter leurs idées. Vœux pieux s’il en fut… car 1945 et ses bouleversements viennent drastiquement changer la donne : le 2 septembre c’est sur une scène aménagée par lui sur la place Ba Dinh à Hanoi que Ho Chi Minh déclare l’indépendance du Vietnam.
Mais n’anticipons pas. Nous sommes en 1942. Et Lé-Van-Dé a connu tous les honneurs. Il a conquis l’Occident. L’académicien français Louis Gillet (1876-1943) lui avait préfacé le livret de son exposition tenue à Paris du 13 au 25 mai 1938. Honoré par le Vatican , distingué par le gouvernement français, exposé et commenté, loué, élu par ses pairs président du FARTA.
À 36 ans, une quasi-institution.
Il choisit alors de composer « La jeune femme à la colombe », oeuvre unique, atypique. Ces ruptures subites de style ne sont pas inhabituelles dans la peinture vietnamienne. Que l’on songe à Tô Ngoc Van particulièrement.
L’œuvre est bien plus colorée que ses antérieures, majoritairement jaune-marron.
Mais plus encore cette petite (42,5 X 36 cm) gouache et encre sur soie est une des plus belles de Le Van Dé. Le collectionneur français qui la possédait m’avait assuré que le modèle était la propre épouse de l’artiste Georges Khanh.
Cette très belle femme affiche les traits de la modernité féminine de son temps au Vietnam. Yeux maquillés, sourcils épilés, rouge aux lèvres, coiffe, ao dai redessiné : tout l’héritage des idéaux du Tu Luc Van Doan mis en scène par Nguyen Cat Tuong depuis les années 30.
Le collier de perles et le bijou à l’oreille marquent l’aisance matérielle.
Elle ne nous regarde pas.
Le milieu dans lequel elle figure est irréel.
Son buste, seul, émerge de nuages dont un remonte à l’arrière-plan. Une colombe agrippe son épaule droite.
Au fond un disque doré qui pourrait être une auréole, une lune ou un soleil.
Tous éléments décoratifs ou symboliques, profanes ou sacrés sur lesquels on pourrait gloser. Notons plutôt que Lé Van Dé nous livre ici un syncrétisme décoratif.
La signature est inhabituelle avec ses lettres sans tirets et ses signes diacritiques. Plus le « C-L-F », plus d’idéogrammes chinois, plus de cachet..
Une peinture vietnamisée ? Laïcisée ? Désoccidentalisée ? Désinisée ?
Tout en même temps.
Plus tard à la demande de Bao Dai, il dessine un timbre pour le Vietnam. Puis ayant quitté le nord communiste en 1954 il devient le 31 décembre 1954 le directeur de l’École des Beaux-Arts de Saigon qui s’installe toute proche de celle de Gia Dinh (créée en 1913).
Lé Van Dé meurt le 16 mars 1966 à Saigon.
Heureusement, il n’eut pas le temps de voir son monde s’écrouler, son image effacée et, finalement, l’échec de son parcours.
Après 1975 et la chute de Saigon sa statue – exécutée par Le Thanh Non (1940-2002) en 1973 – sera retirée de la cour de l’École des Beaux-Arts où elle siégeait. Pire encore et humiliation suprême pour un artiste – nul doute que le peintre Nguyen Do Cung, le fondateur du musée, en 1966, en aurait été consterné – des faux grossiers de ses tableaux sont accrochés aux murs du musée des Beaux-Arts d’Hanoi. En 1968 le colonel américain James Darf avait pu déclarer au sujet de Ben Tré : « Pour sauver la ville, il a fallu la raser » (sic).
Son image cachée, ses œuvres bafouées, la ville de son enfance, annihilée.
Tout est dans cette peinture, viatique pour le martyre. Elle est le manifeste d’une idée qui ne prendra pas : la troisième voie. Entre l’Occident et les Communistes.
Faute de choix.
Parce que quand tout fait sens, plus rien n’a de sens.
Son retour au pays – que ne feront pas Vu Cao Dam, Le Pho, Mai Thu, Le Thi Luu – fut une quête respectable mais quêter n’est pas mendier.
Oui, la dé-construction si elle n’est que dé-modélisation n’est que désillusion.
Mais Dieu, croyait-il, le savait déjà…
Jean-François Hubert
[…] de nous décrire un bouddha apaisé. Il n’y a pas dans son œuvre le quasi-militantisme d’un Lé Van Dé ou la fascination d’un Le Pho, eux, non pas pour le bouddhisme mais pour le […]
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