Pham Hau « Coqs dans un paysage », c. 1940, ou la fable des animaux
Dans ce magnifique paravent de très grand format (six panneaux de 135 X 44 cm chacun, soit en tout 135 X 264 cm), signé en bas à droite, Pham Hau (1903-1995) par sa virtuosité technique restitue toute la splendeur et la précision de l’art de la laque vietnamienne.
Bien entendu Pham Hau comme tous les peintres – et particulièrement les peintres laqueurs, tant les calques nécessaires à la confection de l’œuvre facilitent leur tâche – ne se prive pas au gré de ses œuvres de réutiliser certains éléments graphiques comme ici ses lianes « en or » qui strient la composition.
De même, la composition semi-abstraite de l’œuvre, les motifs géométriques et l’esthétique générale de l’oeuvre sont empruntés à Jean Dunand et ses disciples. Nous avons déjà évoqué tout ce que la laque artistique vietnamienne à travers l’enseignement à l’Ecole des Beaux-Arts de Hanoï doit à Jean Dunand.
Emprunts internes et emprunts externes sont les deux piliers d’un artiste en général. Seul son talent évite la répétition.
Et ici c’est un travail vraiment extraordinaire que nous livre Pham Hau. Depuis sa sortie de l’Ecole des Beaux-Arts de Hanoï en 1934, Pham Hau voit ses laques trouver aisément leur public, essentiellement les « coloniaux » français qui agrémentent leur intérieur. On peut penser qu’il s’agit d’une commande spéciale très certainement pour un français, l’œuvre y ayant été importée il y a longtemps.
D’une part on est loin de la répétition d’un même thème – cerfs, pagodes, baie d’Ha Long – que l’artiste a pu nous offrir à satiété… avec l’aide parfois prépondérante de son atelier et, d’autre part, dans cette œuvre unique (sous réserve d’inventaire…) il joue avec son spectateur.
Cette abondance d’or – la végétation, les rochers mais aussi l’eau ondulée de la rivière et les barrières – peint, en relief, de différents tons, en aplats ou points, dans cette végétation « minérale » qui tombe comme une avalanche, ces surfaces brillantes et ces matités, nous offrent dès l’abord deux coqs.
Fiers, imposants, ils occupent quasiment tout le quart inférieur gauche de la laque.
En revanche, discrets, presque cachés, deux faisans en haut au centre, à droite et une aigrette en bas à droite. Pour mieux dissimuler ces trois oiseaux, Pham Hau les peint en couleurs sombres sur un fond sombre et les figure dans une dimension beaucoup plus petite que les deux coqs. Les 5 animaux et le rocher sont les éléments centraux de l’œuvre l’abondante végétation quasi fantasmagorique leur servant d’écrin.
Un modus operandi aussi inhabituel ne peut être anecdotique. Que veut nous dire le peintre dans cette œuvre très personnelle ?
Bien sûr évoquer le symbolisme hérité de la Chine est la tentation habituelle pour éclairer le tableau. Mais il me semble qu’ici, il ne faut pas se contenter d’une simple juxtaposition motif/symbole. Non, l’œuvre doit être justement interprétée dans l’esprit de la fin des années 1930 et du début des années 1940.
Et notre paravent peut être daté vers 1940-42, compte tenu du type de sa signature. À cette époque elle est beaucoup plus simple. L’ancienne était auparavant en caractères chinois, accompagnée d’un sceau sophistiqué – et moins lisible pour bon nombre d’amateurs…-. Vers 1940, Pham Hau commence à signer ses œuvres de son nom en caractères romains ici en bas (additionné parfois de son nom en caractères chinois comme ici).
Symbolisme asiatique ?
L’aigrette symbolise la longue vie et l’immortalité ; elle est, comme dans l’iconographie chinoise classique, associée à un rocher, et à un arbre en l’occurrence un cerisier, qui symbolise le renouveau et la virginité. Les deux coqs peuvent être des symboles d’ostentation et de vanité. Enfin, les faisans sont des symboles de beauté et de bon augure.
Réinterprétation contemporaine ?
Et si les deux coqs symbolisaient la France (le « coq gaulois » est l’un des emblèmes du pays), l’aigrette le Vietnam et les faisans les acteurs politiques ?
La taille des premiers , leur place centrale dans l’œuvre symbolisant la présence coloniale française, les faisans en couple incarnant les deux tendances, évolution-révolution, se disputant le monopole de la lutte pour l’indépendance contre la puissance coloniale française, et la triple alliance aigrette-rocher-cerisier le Vietnam dans l’attente…
Tout cela, exprimé allusivement et poétiquement s’accorderait à la fois avec la vocation de l’œuvre, de son public, la conscience de l’artiste et le contexte historique du moment.
Une fable est toujours fondée sur le réel.
Jean-François Hubert